Quinze ans après la "floraison des possibles", la création de la Koinè et l'exil quasi général de la Ville vers les plateaux et le reste de l'archipel, celle-ci n'est pas totalement désertée. Ses habitants l'ont réinventée, utilisant le maximum de surfaces en cultures, et chacun.e est tenu.e à quatre heures quotidiennes, cinq jours par semaine, de travail au bénéfice de tous.
Ainsi, Bob Blaine, l'un des narrateurs, fait ses "quarts" au traitement des eaux usées, tandis que le reste de son temps est consacré à la tenue de la réception de la pension. Car des gens continuent d'arriver en Ville : celle-ci est devenue une étape entre un passé plus ou moins lointain et un avenir plus ou moins incertain. Un lieu de transit.
L'une des nouvellement arrivé.es est Elpy, qui passe son temps à rôder dans la Ville, évite toute interaction sociale, mais écrit à une absente, et cache ses lettres dans le mur de sa chambre. Mais cette "boîte à lettres" est à double sens. Une autre est Aliocha, dont la vie se passe majoritairement en ligne, et qui fantasme sur la vie d'avant et ses luttes de pouvoir. Un autre enfin est Soran, le plus âgé, qui a connu la vie d'avant, qui y a participé et qui en porte un tel poids de remords et de regrets qu'il vit principalement en fugue olfactive.
Mais c'est le Choeur qui porte la voix de la Koinè, sa voix globale, inclusive, ouverte vers le passé, l'avenir, la Ville, les plateaux et l'extérieur en général, même l'inconnu, qui reste inconnaissable puisque tous les bateaux qui ont essayé d'aller à sa rencontre ont disparu.
Ce court roman choral, au ton introspectif, est assez habilement articulé autour de la réception par chacun des personnages individuels d'une lettre capitale pour chacun d'entre eux, et d'éléments climato-géologiques liés à la Ville. Le ton est lyrique, allusif, et l'immersion est nécessaire à la fois pour suivre le déroulé de l'histoire et pour discerner les voix de chacun des personnages.
L'utopie dépeinte n'est pas d'une grande originalité, mais sa description par petites touches est bien réalisée. Je ne connaissais pas son autrice, mais je ne manquerai pas d'aller chercher ses autres textes.
