Qui est Nona ? Elle ne le sait pas elle-même, mais ça ne la préoccupe pas trop. Tout ira bien pour elle, tant qu'il y aura Pyrrha, Camilla et Palamedes pour veiller sur elle dans leur appartement de l'Immeuble, et puis tant qu'elle pourra s'amuser avec ses camarades d'école, Sauce Piquante, Franchise, Né du Matin et les autres, sans oublier Poodle le chien. La vie n'est pas si difficile pour Nona, quand bien même elle vit sur une planète en pleine guerre civile entre les partisans de l'Empereur et les rebelles du Sang d'Éden, sous la lumière d'un astre bleu inconnu qui rend les nécromanciens fous. Quand bien même tous ces événements lui passent au-dessus de la tête, elle va s'y retrouver mêlée, car la question de son identité va devenir cruciale.
Ce troisième tome du Tombeau scellé n'était pas prévu à l'origine. Il ne devait constituer à l'origine que la première partie de la conclusion de la trilogie, Alecto la neuvième, mais il n'a cessé de croître en taille au point de justifier d'en faire un livre à lui tout seul. Dans ces circonstances, le risque de délayage était bien présent et Tamsyn Muir ne l'évite pas complètement.
La première moitié de Nona la neuvième est encore plus radicalement différente de Harrow la neuvième que Harrow ne l'était de Gideon la neuvième. On change encore une fois de protagoniste, mais cette fois-ci, c'est un tout nouveau personnage que l'on suit en la personne de Nona, une jeune fille gentille, naïve et au comportement proche de celui d'une enfant. Pendant plusieurs centaines de pages, on la suit dans sa vie de tous les jours : elle se lève, déjeune en famille, se rend à l'école, joue avec ses camarades, rentre le soir et va se coucher. Sa petite routine est absolument charmante et les échanges qu'elle a avec ses parents d'adoption et sa bande sont délicieux, mais il est difficile de ne pas avoir envie de survoler le texte pour voir où exactement Tamsyn Muir veut en venir avec ce récit qui n'a en commun avec les tomes précédents que les noms de certains personnages et quelques allusions çà et là.
On ne suit plus ici les bisbilles d'individus aux pouvoirs quasiment divins (voire divins tout court), mais la vie toute simple d'une jeune fille coincée sur une planète en état de siège. Raconter les conséquences au raz du sol que peuvent avoir les conflits cosmiques dans lesquels sont engagés les personnages des deux premiers tomes n'est pas une mauvaise idée, mais comme Nona est presque complètement inconsciente des événements qui se passent autour d'elle, beaucoup de choses restent longtemps nébuleuses. Le problème, c'est qu'il n'est pas toujours évident de savoir si quelque chose est incompréhensible parce que Nona ne le comprend pas, parce que le lecteur n'est pas censé le comprendre avant d'avoir lu la suite, ou parce que le lecteur est censé le comprendre mais doit pour cela faire appel à ses connaissances pas forcément très claires des tomes précédents.
Inutile de préciser que Tamsyn Muir ne se montre pas plus didactique qu'avant à l'égard de son lectorat. Il vaudra mieux avoir lu (ou relu) Gideon et Harrow avant d'attaquer Nona, de préférence en prenant des notes, et même ainsi, rien ne garantit que vous comprendrez tout ce qui se passe. Plus que jamais, rien n'est stable dans cet univers, les héros et héroïnes changent de genre, d'identité et de nom comme de chemise et même le trépas n'a rien de définitif. Entre cette fluidité et la naïveté de Nona, il est difficile de se départir d'une impression générale de grande confusion.
La deuxième moitié du livre se rapproche davantage de ce qu'on a pu lire dans les tomes précédents, avec le retour de certains personnages, l'arrivée d'enjeux plus importants et un certain nombre de révélations, sur Nona bien entendu mais pas seulement. Mais c'est bien peu, bien tard, et la conclusion finale tombe un peu à plat, tout comme les interludes qui ponctuent le texte pour présenter les origines de l'Empereur et de ses Lycteurs. La dernière page du livre nous promet que « l'enfer se déchaînera dans Alecto la neuvième », et il faudra bien ça pour redresser la barre et peut-être permettre de voir avec le recul ce troisième tome d'un autre œil. J'avais beaucoup aimé Gideon et j'avais bien aimé Harrow, mais j'ai dû me faire violence pour finir Nona et j'en ressors plutôt déçu.