Les Chroniques de l'Imaginaire

Croire aux fauves - Martin, Nastassja

Fin août 2015, alors qu’elle se trouve aux confins de la Sibérie, dans la région du Kamtchatka plus précisément, Nastassja Martin, anthropologue française, survit miraculeusement à une confrontation avec un ours. 

Cette rencontre brutale va non seulement lui emporter une partie de son visage mais également faire imploser au plus profond d’elle-même des frontières spirituelles entre le monde des mythes et une plus féroce réalité.

Au fur et à mesure de sa reconstruction physique, entre la Russie et la France, Nastassja Martin nous livre bien plus qu’un simple témoignage des failles sur un corps et dans la tête. C’est toute une histoire d’amitié avec un peuple, des parcours de vie qui se percutent et des légendes ancestrales où le jadis rejoint l’actuel et le rêve rallie l’incarné.

Si j’ai eu beaucoup de mal à avancer dans cette lecture, me perdant tant dans la chronologie des faits que dans les allers-retours entre les multiples zones géographiques évoquées, j’ai aussi peiné à identifier les degrés de relations et à m’attacher aux différents personnages (Ivan, Daria, Charles, etc.) pourtant chers à l’autrice.

Passé ce cap, je dirais qu’il faut aussi avoir quelques appétences pour l’anthropologie qui nous plonge au-delà d’une simple introspection pour venir questionner une vision animiste du monde. Autrement dit, confronter notre pensée habituelle anthropocentrée avec une autre culture attachée aux traditions et à une identité commune autour d’une croyance qui donne un esprit et une force vitale à tous les êtres vivants mais également aux éléments naturels.

C’est malgré tout un texte bouleversant qui, j’en reste persuadée, secoue quelque part au moins quelque chose en nous. Pour ma part, j’ai été marquée (sans mauvais jeu de mots) par la force de caractère et la résilience de cette femme hors-du-commun.

Elle doit accepter d’abandonner son visage perdu, son existence antérieure et pourrait pleurer tout ce qui ne sera plus jamais pareil. Et pourtant, elle se résigne, se relève et décide de faire face au monde extérieur avec ce nouveau visage morcelé, balafré, recomposé. En un mot, elle est « défigurée ». Mais vivante. 

Le genre de passage qui en dit sûrement long sur la lectrice que je suis mais au-delà de la simple question de l’apparence physique, c’est tout ce combat de dépassement de soi et de réappropriation de son corps, avec l’avant et l’après qui font partie intégrante de son histoire, qui m’aura le plus captivée.

Avec en point d’orgue cette citation retentissante dont le message fait plus que jamais sens face à la froideur cartésienne du monde médical : « c’est moi qui ai marché tel un fauve sur l’échine du monde ». Un récit singulier et déroutant mais à expérimenter.