Dans le quartier de Montparnasse, au temps des Années Folles, existait un café au départ banal, populaire, devenu par la suite une institution. "Le Bal Nègre", tel était son nom, doit son succès à Jean Rézard des Wouves, un Martiniquais candidat à la députation qui, devant le peu d'enthousiasme que suscitaient ses discours, a laissé tomber la politique pour se consacrer au piano, ce que son auditoire préférait bien davantage. Petit à petit, la musique a investi le café, qui donnait plusieurs concerts par semaine et attirait des clients qui partageaient souvent la même nostalgie de leurs terres.
Car au Bal Nègre on pouvait entendre de la biguine, danser la mazurka ; les madras s'affichaient, on buvait du rhum...Les Antillais pouvaient s'échapper du quotidien pour quelques heures auprès des leurs. Les métropolitains étaient aussi bienvenus, tels Robert Desnos qui en fit une promotion enthousiaste. De plus en plus, le café cabaret attirait les foules, les touristes venant même par car. Tout Paris voulait aller danser au Bal Nègre.
Ce lieu rassemble des hommes et femmes de tous âges, de tous milieux, tous portés par une envie d'ailleurs, que ce soit par nostalgie pour les uns ou par curiosité pour les autres. Parmi tous ces clients, Raphaël Confiant nous introduit dans l'intimité de quelques uns d'entre eux. A commencer par Anthénor, parti pour la Grande Guerre. Il a combattu aux Dardanelles, a transité par Marseille où une Grecque en mal d'amour l'a pris sous son aile. Puis il est monté à Paris, a travaillé à l'usine. Puis les soirs allait s'amuser au Bal Nègre. Où il a connu Frédéric, fils d'avocat qui est parti en métropole pour ses études. Lui si épris de philosophie et d'astronomie a aussi succombé aux atours du cabaret. Quant à Elise, qui a quitté son île pour accompagner la famille pour qui elle travaillait, ce qui la guide c'est la recherche de l'amour. En attendant, elle se libère par la musique.
Leurs destins s'entremêlent avec ceux des autres clients et surtout, celui du cabaret. C'est lui le personnage central, avec sa réalité historique et ses faits divers authentiques. Il est le fil conducteur autour duquel gravitent les autres protagonistes, qui vont et viennent, dansent et disparaissent, puis reviennent, avec bonheur ou tristesse.
Le bal de la rue Blomet témoigne de la virtuosité de l'auteur, qui passe d'un personnage à un autre, d'un point de vue à un autre, avec une agilité remarquable. Il nous invite à entrer dans le quotidien d'un Antillais français sans l'être tout à fait. Un Antillais nostalgique mais plein d'espoir de vivre à Paris. Un Antillais qui vient se ressourcer et retrouver un bout de son île au Bal Nègre.
L'écriture de Raphaël Confiant exacerbe la tonalité ultramarine du texte, lui qui utilise bon nombre de mots et expressions inusités en métropole (heureuseté, mitan, jacoter...). Le créole apparaît aussi régulièrement et colore joyeusement le texte.
C'est un roman merveilleusement maîtrisé, documenté, bourré d'émotions, avec des personnages si charismatiques et attachants qu'on a toutes les peines du monde à les quitter. J'ai passé un moment de lecture exaltant et je ne peux que vous le recommander chaleureusement.