Les Chroniques de l'Imaginaire

Il neige sur le pianiste - Hunzinger, Claudie

Tous deux sont célèbres. Lui est un pianiste qui donne des concerts dans le monde entier. Elle est une vieille romancière reconnue, dont il aime les œuvres. Elle l'a invité à venir la voir dans sa maison perdue au milieu de nulle part, et il a accepté de braver la neige pour y venir. Il prévoyait d'y rester vingt-quatre heures, il restera dix jours et onze nuits.

Ensemble, ils vont braver la neige pour aller voir la forêt encore debout, le ciel étoilé et, de l'intérieur de la maison, ils guetteront le petit renard qui vient tous les soirs goûter les petits repas que lui sert la romancière.

La musique et la nature composent la toile de fond de ce roman. En effet, chaque élément naturel - le vent, la neige, les oiseaux, bien sûr - a sa propre voix, un son particulier que la romancière essaie de reproduire dans son écriture. Après son arrivée, et surtout son impossibilité de repartir, le musicien passe des heures sur le piano, à préparer le concert qu'il doit donner à Tokyo quelques semaines plus tard.

L'interrogation sur la prise de pouvoir, et en conséquence sur le consentement, est constante, et c'est d'autant plus frappant que c'est une femme qui décide de tout. En effet, le personnage féminin va soigner le renard sans lui demander son avis, ce qui n'aurait rien de surprenant en soi pour un animal domestique, mais qui est plus problématique pour un animal sauvage, et sans dire la vérité quant au destinataire des médicaments qu'elle achète.

Avant même l'arrivée de la neige, elle avait prévu de "garder" le pianiste plus longtemps qu'il n'avait prévu de rester, et pendant son séjour elle va passer plusieurs nuits à le regarder dormir, après l'avoir drogué pour qu'il dorme profondément. Cette invasion d'une intimité sensée aller de soi - qui envahit la chambre de ses invités pendant leur sommeil ?! - pose la question d'où commence le viol. Certes, aucun acte purement sexuel n'est posé, mais la sensualité du personnage, parfaitement rendue dans une écriture tout aussi maîtrisée, est évidente, comme l'impossibilité pour l'homme de tout consentement.

La différence d'âge entre les deux personnages est aussi un élément "classique" de la prise de pouvoir. Même si on trouve dans ce roman une inversion de genre, notamment par rapport au roman Les belles endormies de Yasunari Kawabata, la problématique est identique. Et très classiquement le personnage au pouvoir déshumanise l'autre : le pianiste est vu comme partiellement animal - cache-t-il des plumes ou des poils sous ses vêtements ? - voire chosifié, un homme de cendre.

En somme, j'ai trouvé ce roman très bien écrit, original, mais profondément dérangeant.