Gertrude Bell est la fille aînée de Hugh Bell, dont la famille s'est enrichie démesurément pendant la toute récente révolution industrielle. A ce titre, elle ne manquera de rien pendant son enfance, sauf malheureusement de sa mère, morte peu après avoir mis au monde son second enfant, Maurice. Gertrude sera toute sa vie très proche de son père, qu'elle adore, et qui n'hésite pas à aborder avec elle des sujets que ce XIXe siècle finissant ne pense pas adéquats pour une fille.
Mais cette enfant, puis jeune fille est brillante : après des études à Oxford, où elle est la première femme primée en histoire moderne, elle part voyager en Orient, s'intéresse à l'archéologie, apprend l'arabe et le persan, écoute et observe tous ceux qu'elle rencontre. Dans les premières années de la Grande Guerre, elle est en Mésopotamie, de retour d'Inde où elle a essayé, en vain, de convaincre le vice-roi de soutenir une révolte arabe afin de lutter contre l'empire ottoman allié de l'Allemagne. Les contacts qu'elle a noués dans la région pendant ses campagnes archéologiques précédentes vont s'avérer très utiles pour le service de renseignement britannique.
Après la guerre, elle fera le maximum pour porter le prince Fayçal au trône de l'état d'Irak à la création duquel elle a participé. Ensuite, elle aidera autant qu'elle le pourra ce dirigeant étranger à se faire connaître de son peuple, une tâche difficile étant donné la mosaïque de cultures dans la région, et qu'une grande partie de la population est chiite, alors qu'il est sunnite. Elle consacrera également ses efforts à la création du musée national d'Irak.
Cette biographie romancée est fort intéressante et se lit comme un roman. Les allées et venues dans le temps où le passé de Gertrude alterne avec son présent sont bien amenées et utiles. Les personnages plus grands que nature qu'elle a croisés, au premier rang desquels T.E. Lawrence et Winston Churchill, donnent une idée de l'envergure de cette femme injustement décriée par une bonne partie de ses contemporains, et tout aussi injustement oubliée depuis.
Il est vrai qu'elle est une femme de son temps, farouchement impérialiste, convaincue que le devoir et le fardeau de l'Occident est de guider le reste du monde vers la civilisation, ce qui fait grincer des dents aujourd'hui, mais il faut replacer ces idées et discours dans leur époque, ce que l'auteur fait plutôt habilement, en montrant les autres membres du Service de Renseignement où elle travaille. Alors même qu'elle est critiquée parce qu'elle est une femme, et que sa fortune lui permet de vivre comme elle l'entend, c'est-à-dire sans dépendre du bon vouloir des hommes au pouvoir, elle n'est pas du tout féministe, et est même farouchement opposée au droit de vote pour les femmes.
C'est donc un personnage clivant, et c'est toute l'habileté de ce roman biographique de montrer ses différentes facettes, y compris dans sa vie sentimentale. Bientôt un siècle après sa mort, il est temps de remettre en lumière ses apports à l'archéologie et à l'histoire du Moyen-Orient, quelque mal inspirés qu'aient pu être certains de ses choix.