À première vue, il n'y a rien d'évident à ce que Galaxies SF consacre un numéro à Françoise d'Eaubonne (1920-2005). Cette écrivaine française est principalement connue pour son féminisme et son engagement pour diverses causes politiques, comme l'indépendance de l'Algérie ou l'abolition de la peine de mort. Son œuvre littéraire est très variée et comprend des essais philosophiques, de la poésie ou des biographies romancées, mais on y trouve également plusieurs romans de science-fiction axés sur des questionnements féministes et écologiques, avec notamment une « Trilogie du Losange » dont le troisième tome, inachevé, n'est paru qu'en 2022. C'est ce pan de sa carrière que le dossier de ce magazine, chapeauté par Noé Gaillard, se propose d'examiner.
En guise d'introduction, une brève biographie de l'autrice par Lucie Chenu et un rapide aperçu de sa production littéraire par Noé Gaillard permettent de brosser un tableau général bienvenu pour les gens qui, comme moi, n'avaient jamais fait davantage que croiser le nom de Françoise d'Eaubonne au hasard de leurs lectures. Quelques pages de souvenirs d'Yves Frémion et un entretien avec la biographe Élise Thiébaut approfondissent ce portrait d'une femme tout à fait singulière, dont les aspects féministes et écologiques de l'œuvre sont abordés en détail dans un article de Pauline J. Bhutia. Il aurait été dommage de ne pas illustrer ce dossier d'échantillons de son œuvre : c'est chose faite avec les nouvelles La Dernière émission à Radio-Globule et Un film dans un film. Avec son dispositif narratif original (la transcription d'une émission de radio), la première n'est pas la plus accessible, mais elle donne à lire une plume enlevée et pleine de verve. La deuxième, plus conventionnelle et efficace, prend place dans un futur où la guerre des sexes a pris un tour pour le moins littéral.
La partie « Nouvelles » de ce Galaxies SF s'ouvre sur la gagnante du prix Alain le Bussy 2024. L'Attrape-touristes, d'Élise Rengot, a pour héroïne une lycéenne fatiguée qui se trompe de bus et se retrouve dans un endroit inattendu. C'est un texte à chute qui fonctionne bien avec une protagoniste finement campée. Le supplément numérique propose deux participants au concours récompensés d'un deuxième accessit : La machine de Munoz, de Grégoire Kenner, et Casser une planète, ça arrive à tout le monde, de Grégoire Guardiola. La première imagine les effets d'une invention informatique impossible et s'arrête là où d'autres textes auraient commencé ; déroutant, mais prenant. La seconde nous emmène dans l'espace pour nous faire partager les émois d'un vaisseau spatial gigantesque qui, à la suite d'une petite erreur d'inattention, se retrouve plongé dans les affres de la culpabilité. C'est plein d'imagination et très réjouissant. Les deux autres nouvelles de la version papier du magazine sont tout aussi excellentes. Avec Les chants ne donnent jamais, Pauline J. Bhutia nous offre un texte plein de fureur et de paix, entre la violence des hommes et la douceur des arbres, tandis que Pierre Stolze adopte un ton plus gouailleur pour nous raconter Quand la Marquise regagnera le Ciel, ou les mésaventures d'un écrivain de science-fiction dont la passion pour l'archéologie l'emmène plus loin qu'il ne l'aurait cru possible…
Les rubriques habituelles viennent compléter le sommaire. Les Nouvelles d'Ukraine ne sont pour une fois pas un texte de fiction, mais un entretien avec cinq autrices ukrainiennes (Natalia Dovhopol, Iryna Hrabovska, Natalia Matolinets, Daria Piskozoub et Svitlana Taratorina) pour une vue d'ensemble de la situation actuelle des littératures de l'imaginaire dans ce pays, en particulier leur émancipation vis-à-vis de la langue russe. Dans les pages musique, Jean-Guillaume Lanuque nous ramène au début des années 1980 et l'émergence de la new wave, ses synthétiseurs et sa passion pour la SF. Didier Reboussin poursuit sa Croisière au long du fleuve avec un portrait de Jan de Fast (1914-1991) et son héros de papier, le docteur Alan. Comme d'habitude, les critiques des dernières parutions cinématographiques, télévisuelles et littéraires viennent boucler ces 192 pages d'une qualité toujours aussi remarquable.