Le point de départ de Dans les lignes de la mer est pour le moins original car il est le fruit d'une collaboration entre le scénariste Tom Graffin et son ami Luc Lesénécal, président de l'entreprise Saint-James. Saint-James a été créée en 1889 sur la commune éponyme proche du Mont Saint-Michel et était au départ une filature, où ont été tissés les premiers chandails marins. Depuis, la marinière a fait son chemin pour devenir un incontournable de toutes les garde-robes, que ce soit en bord de mer ou au cœur des villes. Luc Lesénécal avait en tête de faire rayonner les valeurs et l'histoire de Saint-James ; Tom Graffin a proposé de le faire sous forme de bande dessinée. Une bande dessinée qui ne raconterait pas l'histoire de l'entreprise, mais dont le scénario incorporait des éléments et des clins d’œil liés à Saint-James et à la marinière.
Manon a une peur bleue de la mer depuis que son mari Elio a disparu, son bateau n'étant jamais revenu. Elle n'entre pas dans l'eau et interdit à sa fille de mouiller ne serait-ce qu'un orteil. Pourtant, un jour qu'elles sont sur la plage, Manon se lance dans les vagues, persuadée d'avoir vu le bateau d'Elio au large. Lorsqu'elle se réveille, elle est sur un bateau, mais pas celui d'Elio. Cest Léan, un vieux marin, qui l'a repêchée.
Il lui propose alors un voyage mystérieux, qui conduira Manon sur une île dans laquelle personne n'est jamais allé. Sauf quelques malheureux élus.
La quête suit un fil secret sur lequel on ne peut rien dévoiler sous peine de briser son charme. Mais il y est question des rayures du tissu marinière et de leur pouvoir, et du lien indéfectible qui unit la mer et les marins. L'atmosphère est fantastique et onirique, telle une légende qui prend vie sous les yeux de Manon.
Le pari initial de Tom Graffin est gagné car il parvient en effet à introduire des éléments de l'histoire de Saint-James (la filature, les moutons et autres références subtiles) et l'importance du motif marin immédiatement identifiable cent-trente-cinq ans plus tard. Surtout, il le fait à partir d'une histoire originale sans que cela ressemble à une publicité commerciale. Si l'on comprend bien que le sujet central est la marinière, ce sont uniquement les quatre dernières pages explicatives qui explicitent précisément le lien avec l'entreprise Saint-James.
Le résultat de cette alliance est réussi. Le scénario est beau et intéressant, et surfe sur un imaginaire pittoresque. En dehors de la dimension informative de l'histoire, il y a aussi le parcours de Manon, une femme de caractère et battante qui n'arrive pas à faire le deuil de son bien-aimé, aux dépens de sa fille attirée par la mer. A la fin de son voyage, parviendra-t-elle à aller de l'avant et à comprendre que la mer ne fait pas que prendre, qu'elle peut aussi apporter énormément ?
Un des gros points forts de cet album est aussi la qualité des dessins de Nathalie Ferlut et Thierry Leprévost, qui sont très jolis et saisissent à merveille l'émotion du moment. Les traits, les couleurs, les angles choisis, les expressions du personnage, toutes les dimensions du dessin sont parfaitement exploitées. Le trait et la couleur justes au bon moment. Cela rend la lecture très immersive sans qu'il y ait besoin de foules de détails dans les vignettes.
Dans les lignes de la mer est un bel exemple de collaboration entre les domaines commerciaux et artistiques. C'est un album touchant, intéressant et esthétique qui plaira à tous et plus particulièrement aux amoureux de la mer et des marinières.