Les Chroniques de l'Imaginaire

La maison de liesse - Wharton, Edith

Premier grand succès de l'autrice Edith Wharton, La maison de liesse bénéficie d'une nouvelle traduction et d'une nouvelle édition dans la collection L'imaginaire Gallimard qui lui permet d'être de nouveau placé sous les projecteurs.

L'héroïne est Lily Bart, une orpheline de vingt-neuf ans qui vit sous le toit de sa vertueuse et généreuse tante. Lily est une beauté, tout le monde s'accorde à le dire. C'est son plus grand atout pour faire un beau mariage. Pour ne rien gâcher, elle a du charme et de l'esprit. Et Lily veut voir grand. Elle espère un beau parti qui lui permettra de vivre dans le luxe jusqu'à la fin de ses jours.

Mais le sort contrarie ses plans. Elle voit les occasions lui passer sous le nez, se raréfier. Elle apparaît toujours chez ses amis mondains mais comme elle le souligne, on s'habitue à elle, elle a perdu l'attrait de la fraîcheur. Peut-on vraiment parler d'amis d'ailleurs ? Dans cet univers bourgeois, où les apparences jouent un rôle prépondérant, il suffit d'un frémissement pour que la rumeur prenne, enfle, se répande. L'innocence et l’honnêteté ne valent plus rien face aux bruits qui courent.

Au milieu de tous ces visages janusiens, quelques âmes bienveillantes sortent du lot commun, à commencer par Selden. Ce jeune homme connaît Lily depuis l'enfance et le lecteur ne peut s'empêcher d'y reconnaître le mari attendu. Sera-t-il celui qui lui assurera un avenir sûr ? Lily trouvera-t-elle le bonheur ?

Ce magnifique roman nous plonge dans les affres d'une jeune femme belle, intelligente, fortunée, qui malgré tous ses efforts connaît une vie de tragédies. La confiance bafouée, l'appât du gain dangereux, les dépenses déraisonnées, les amitiés mal choisies... Rien ne lui est épargné. De mauvais choix, certes, mais aussi des planètes qui refusent de s'aligner en sa faveur. Ses espoirs de liberté et de richesse lui glissent entre les doigts comme du sable trop fin. Pourtant, même les jours les plus sombres, Lily reste fidèle à ses principes et ne laisse ni la rancune ni l'amertume envahir son cœur.

La maison de liesse est une histoire bouleversante mais c'est plus que cela encore, c'est un roman social qui décortique le microcosme clinquant et superficiel de la haute société américaine, et plus particulièrement new-yorkaise. Le sort des femmes est un des sujets majeurs à travers Lily, qui assez cyniquement ne peut trouver la liberté que dans le mariage. Tout le monde juge une jeune fille, qui doit se comporter comme il faut, plaire et se taire. Mais une fois mariée à un homme riche, une femme peut faire à peu près tout ce qu'elle veut. Edith Wharton analyse ainsi, grâce à plusieurs personnages féminins et masculins, la différence entre un homme qui peut se faire tout seul et une femme qui ne peut se faire que par le mariage. 

Avec beaucoup d'esprit, de pertinence, de lucidité et une pointe de cynisme, Edith Wharton produit une œuvre magistrale à la construction impeccable. Une toile d'araignée qui se tisse sous nos yeux pour emprisonner peu à peu Lily et la réduire à l'impuissance. Un roman prodigieusement bouleversant dont on comprend aisément le succès rencontré à sa sortie, il y a cent-dix-neuf ans, et qui n'a rien perdu de son éclat.