Mai 1967. Pour la première fois de son histoire, Montauban vient de remporter le bouclier de Brennus en battant Bègles lors de la finale du championnat de France de rugby.
Sur le pont qui enjambe la Garonne entre leurs deux villages, les habitants de Larroque et de Castelnau fêtent comme il se doit la victoire : une troisième mi-temps pour oublier un peu la rivalité entre leurs deux équipes juniors, l’une comme l’autre bien à la peine en championnat régional.
Tout le monde est là : le curé en soutane de Castelnau et le patron de la briqueterie de Larroque, qui sont aussi les deux entraîneurs de rugby, à la pédagogie « à l’ancienne », le vieux marquis, l’instituteur communiste, les paysans, les ouvriers, les jeunes des deux villages…
Et puis il y a Monique qui sera bientôt majeure et vient d’être nommée professeur de sport à Béthune. Et Yveline, sa meilleure amie qui devrait avoir son bac haut la main et pense déjà à ses prochaines études à l’université de Paris.
Deux jeunes filles bien dans leur époque, qui aspirent à réaliser leurs rêves de liberté et s’apprêtent à vivre un dernier été dans leur ovalie natale, sur laquelle souffleront bientôt les vents de mai 68.
Un immense coup de cœur pour ce premier tome touchant d’un triptyque plus que prometteur ! Pas besoin de s’y connaître longuement en rugby, même si depuis petite j’ai pris l’habitude de regarder le tournoi des Six Nations et d’assister ces dernières années aux demi-finales de Top 14. On comprend vite que dans le Sud-Ouest, la culture du rugby est un peu comme une religion.
Les auteurs ont réussi à mettre ce qu’il y a de plus beau (et à en entendre certains, ce qui se perd un peu aujourd’hui) dans ce sport : des valeurs d’abnégation où il faut accepter de se faire mal au nom du collectif, un jeu où il faut aimer ses coéquipiers et respecter à la fois les règles (avec l’apprentissage de la fameuse technique de la chistera) et ses adversaires pour prendre du plaisir malgré les tensions et l’affrontement sur le terrain.
En somme, être solidaire et tout simplement humain. Comme les aspirations de cette génération portée par des idéaux d’émancipation personnelle tant au niveau social, professionnel ou sexuel. C’est au travers d’un récit choral et d’une galerie de personnages, tous plus authentiques et terriblement attachants les uns que les autres, que Tripp, Mermilliod (dont je vous conseille Le Chœur des femmes) et Horne nous plongent dans cette ruralité des Trente Glorieuses.
On y retrouve avec émotion et douceur certains symboles indémodables (les paroles des Beatles, le Pif de l’Humanité, la mythique Citröen 2CV) et pour ma part ce goût prononcé pour l’accent chantant de la région. On prend part aux histoires familiales où l’on sent le poids des traditions sur les trajectoires des enfants et le désir pour certains d’entre eux d’accéder à un autre avenir. On vibre avec courage et ténacité pour s’opposer aux figures traditionnalistes d’autorité et espérer rompre une hiérarchie sociale, parfois injuste, surtout pour les femmes.
C’est sur cette dernière note que se clôture d’ailleurs le premier tome et s’il est difficile de quitter ces personnages, cette ambiance joviale, ces dessins et ces couleurs chaleureuses, on peut d’ores et déjà se consoler en attendant avec impatience la sortie du prochain tome consacré à Monique, à paraître en octobre 2024.