Les Chroniques de l'Imaginaire

L'automate de Nuremberg - Day, Thomas

Nous sommes en 1824 et l'empereur Napoléon triomphe. Victorieux sur tous les fronts, il vient de prendre Moscou au terme d'une deuxième campagne de Russie nettement plus réussie que la première. Défait, le tsar Alexandre se prépare à l'exil. L'un de ses derniers gestes consiste à accorder la liberté à Melchior Hauser, un automate joueur d'échecs doué de raison. Celui-ci décide de se rendre à Nuremberg, auprès de son créateur, le génial Viktor Hauser. Il n'a qu'une question à lui poser : « Ai-je une âme, Père ? »

Le cadre de ce roman, qui imagine une Europe redessinée par les armées napoléoniennes, est planté avec ce qu'il faut de détails pour être crédible sans pour autant étouffer l'histoire qui s'y déroule, un équilibre auquel ne parviennent pas toujours les romanciers qui se piquent d'uchronie. Avec un certain cynisme, Thomas Day montre que peu importe qui gagne les guerres : injustices, inégalités et préjugés perdurent quoi qu'il arrive, et la colonisation de l'Afrique ne sera pas moins atroce dans ce monde qu'elle l'a été dans le nôtre.

Melchior est un protagoniste bien campé. La majeure partie du récit se compose d'extraits de son journal, ce qui permet de saisir son état d'esprit et sa soif de réponses. Comme une variation moderne de Frankenstein, ou un Blade Runner mâtiné de steampunk, l'intrigue le confronte à plusieurs points de vue sur sa nature, certains le considérant comme une simple machine et d'autres lui accordant quasiment une place au sein de l'humanité. Le clin d'œil à la cause célèbre de Kaspar Hauser (qui a réellement existé) et l'introduction d'un antagoniste déterminé à l'éliminer ajoutent de la tension au récit et approfondissent la réflexion sur la nature humaine en offrant des contrepoints au personnage principal.

C'est une riche idée de la part du Bélial' que de rééditer ce court roman de Thomas Day paru à l'origine dans les pages de la revue Bifrost. Son seul défaut pourrait bien être sa concision : en l'espace d'à peine 128 pages, il brasse des thèmes si nombreux et profonds qu'il est difficile de ne pas en ressortir avec un petit goût d'inachevé. C'est un livre qui pose davantage de questions qu'il n'offre de réponses, sans que ce soit nécessairement une mauvaise chose.