Les Chroniques de l'Imaginaire

Mes pas dans leurs ombres - Duroy, Lionel

Adèle Codreanu, journaliste, est mariée à Arthur, un psychiatre au caractère diamétralement opposé à celui de sa femme. Alors que lui est calme, pondéré et en admiration devant elle, Adèle est impulsive, toujours en mouvement, passionnée et incapable de ne pas tromper son mari.

D'origine roumaine, Adèle ne connaît rien du pays de ses parents et n'a aucunement l'intention d'en apprendre plus. Elle voit ce pays à l'image de ses parents, terne, gris et sans intérêt. Jusqu'au jour ou son chef l'envoie en reportage là-bas. Accompagnée d'Arthur qui la pousse dans ce sens, elle va, en traînant les pieds, aller à la rencontre de ce pays, de ses habitants et des lieux où a vécu sa famille.

Par hasard à l’hôtel elle découvre un livre qui parle de la situation en Roumanie avant la seconde guerre mondiale et de la montée de l'antisémitisme. Son intérêt soudain éveillé, Adèle va enquêter sur cet antisémitisme roumain et découvrir avec stupeur que des massacres ont eu lieu, qu'il y a eu des pogroms avant la guerre et que l'État Roumain a été aussi impitoyable que les nazis. Mais ce qui la laisse pantoise, c'est la totale ignorance des Roumains de ces événements ainsi que celle de ses parents, comme si cela avait été effacé de la mémoire collective.

Perturbée par cela, Adèle va remonter la piste d'écrivains juifs qui ont survécu à ces tragédies et partir pour un voyage initiatique à travers la Roumanie, la Moldavie et l'Ukraine. Voyage de découvertes, de bouleversements et de révélations pas toujours complaisantes pour le récit familial.

Lionel Duroy dans ce roman nous fait découvrir l'ampleur des massacres perpétrés par les Roumains contre les juifs mais surtout l'incroyable amnésie qui perdure sur ces évènements depuis l'après-guerre. On pourrait croire que c'est une pure fiction, mais pas du tout, de nos jours les Roumains ne croient pas que cela a pu se passer même si on leur montre des preuves indéniables de ces atrocités. L'État et ses habitants font comme si cela n'avait jamais eu lieu, comme si les nombreux juifs qui habitaient le pays n'avaient jamais été présents avant-guerre. C'est incroyable mais pourtant vrai.

Sous couvert de l'enquête journalistique d'Adèle, l'auteur nous livre un récit complet des évènements terribles qui ont participé à l'extermination d'une grande partie des juifs du pays et à la fuite des derniers survivants. C'est précis, détaillé et permet de lever le voile sur l'histoire de la Roumanie. Ainsi, même si on le savait, on se rend compte qu'il n'y avait pas que les Allemands qui pouvaient se rendre coupables de telles atrocités, les Roumains ont parfois fait bien pire au point d'être rappelés à l'ordre par les Allemands. C'est instructif, sans complaisance et tellement désespérant de voir qu'un pays est encore incapable de revenir sur son passé et de reconnaître ses responsabilités.

Au premier abord, le personnage d'Adèle est plutôt antipathique, trop de colère, trop cassante, méprisante avec ses parents et perpétuellement à la recherche d'un nouvel amant alors qu'elle est mariée. Je ne comprenais pas les intentions de l'auteur avec les pulsions d'Adèle et l'intérêt pour le récit. Puis au fil de la lecture, on se rend compte que cela vient en opposition aux horreurs que le personnage découvre et à ce dégoût qu'elle ressent pour ce qu'il s'est passé. Le récit en est aussi moins lourd et ça permet de casser cette atmosphère sombre et négative au vu de l'ampleur des atrocités que nous découvrons.

C'est un récit passionnant sur la guerre et la Shoah, sur un pays qui a réussi à passer au travers des gouttes de l'après guerre, sur la capacité d'un État à effacer des mémoires et du récit national des faits historiques horribles et sur l'incapacité de ses habitants à remettre en cause ce qu'on leur a appris.