Les Chroniques de l'Imaginaire

Ou ce que vous voudrez - Walton, Jo

Pour Sylvia Harrison, Florence sera toujours sa ville d'adoption, sa cité du bonheur. C'est notamment là qu'elle a écrit ses premiers romans à succès, basés dans la ville imaginaire de Thalia, en Illyrie. Aussi, cinq ans après la mort de son mari très aimé, et alors que son cancer progresse, elle y retourne pour écrire, à nouveau, un roman qui se déroulera en Illyrie, "son histoire de cheval mort", comme dit le narrateur ? son alter ego ?

Qui est cette personne multiple et unique, qui vit dans sa tête, avec laquelle elle a parlé une grande partie de sa vie, et qui demande à vivre en tant que lui-même, indépendamment d'elle, pour changer ? Le lecteur, à qui s'est adressé cette entité pendant une grande partie de l'histoire, ne l'apprendra qu'à la toute fin, en même temps que la personne concernée. Dans l'intervalle, on en apprendra plus sur la vie de Sylvia, sur son oeuvre, et son nouveau roman s'écrira devant nous.

Celui-ci se déroule donc à Thalia, en Illyrie, avec une différence toutefois : dans cette ville où évoluent Marsile Ficin, qui a effectivement existé pendant la Renaissance florentine, et les personnages issus de La Tempête et de La nuit des rois, ou ce que vous voudrez, de Shakespeare, arrive un couple de victoriens, qui sont passés, on ne sait comment, de la Florence du XIXe siècle à Thalia.

On entre dans ce roman comme on mange un mille-feuilles, en goûtant, et en se laissant surprendre, par les différentes couches qui composent sa riche texture. On passe d'un chapitre à l'autre, au départ, sans se repérer dans le temps, sans comprendre clairement quelle histoire est racontée, quel en est le sujet, ni quels en sont vraiment les personnages. La mise en abyme est impressionnante, d'un roman de fantasy qui évoque une autrice de fantasy ayant créé, entre autres, un personnage de dragon étudiant à l'université.

L'amour de l'autrice pour Shakespeare, et pour les littératures de l'imaginaire transparaît ici, avec les multiples citations qui parsèment l'ouvrage, et qui peuvent donner des pistes de lecture pour ceux ou celles qui n'auraient pas déjà lu les oeuvres citées.

Le thème principal est le questionnement autour de l'existence des personnages de fiction, ce qui entraîne les interrogations sur la vérité et la réalité, et bien sûr sur la fonction de la lecture. En effet, que devient une histoire, et ses personnages, que personne ne lit ? Et quels liens a la création littéraire avec son auteur ? D'un certain point de vue, l'autrice répond à cette dernière question en faisant de Sylvia la déesse Hécate dans "le roman de Florence" qu'elle est en train d'écrire. Ce thème s'articule à celui de la mort, qui n'existe plus, au moins telle que nous la connaissons, à Thalia, dont les habitants ne meurent que lorsqu'ils le souhaitent, et à celui de l'immortalité et de ses conséquences.

Ceux et celles que ces thèmes fascinent seront sans nul doute pris par ce roman complexe, dont je crains qu'il ne rebute les personnes à la recherche d'une histoire linéaire, car ce n'est pas du tout ce qu'elles trouveront ici. Comme la plupart des romans de Jo Walton, mais de façon encore plus évidente que dans le cas de Pierre-de-vie, il s'agit d'un roman exigeant et il est facile de décrocher d'une lecture parfois labyrinthique.