En 1911, l'explorateur anglais Douglas Mawson choisit deux compagnons de route pour l'aider à cartographier les côtes de l'Antarctique. Les deux heureux élus sont le Suisse Xavier Mertz, expert des zones montagneuses enneigées, et le responsable des chiens de traîneaux, le lieutenant Belgrave Ninnis. Tous les trois sont endurants, combatifs, préparés à la rude tâche qui les attend.
Mais même solidement équipés, même conscients de la dangerosité, même dotés d'une assise psychologique robuste, rien ne pouvait les préparer complètement aux difficultés qu'ils ont rencontrées sur leur route. Il faut se figurer cet environnement glacé et glaçant, du blanc à perte de vue, sur "terre" comme au ciel, si éclatant qu'il peut brûler les rétines. De la neige qui dissimule des crevasses, des murailles de glace cimentées par le blizzard qui empêchent les traîneaux d'avancer. Pas un animal à tuer pour se sustenter, pas une brindille à brûler. Il faut transporter les vivres, de quoi se chauffer, combattre l'humidité qui s'accumule sous les tentes, atteint les peaux et les fait pourrir.
Il faut se figurer tout ce que doivent subir ces explorateurs. Un effort d'imagination qui devient aisé sous la plume de Justine Niogret. Elle vous invite à voyager auprès de Mawson, Mertz et Ninnis et à éprouver à leurs côtés toutes leurs aventures et surtout, mésaventures. On voit la métamorphose qu'ils subissent au fil des jours, passant de missionnaires scientifiques confiants à des hommes tentant de survivre. Elle les rend extrêmement proches de nous et on souffre à leurs côtés, craignant le lendemain.
Quand on eut mangé le dernier chien est un roman remarquable. Il rend compte d'une authentique expédition scientifique, avec ses composantes, ses missions, sa terminologie, qui donnent au récit une dimension documentaire. Mais cela va bien au-delà. L'autrice apporte du romanesque en approfondissant les caractères de ces trois hommes, en imaginant leurs dialogues et leurs turpitudes intimes à mesure que le voyage tragique progresse. On commence le roman en n'ayant jamais entendu parler de cette expédition et de ses trois protagonistes et on le referme en étant heureux de les avoir connus. Ils en valaient la peine et Justine Niogret leur rend un magnifique hommage.