Les Chroniques de l'Imaginaire

L'enlèvement - Kauffmann, Grégoire

Ce samedi 25 mai 1985, Grégoire Kauffmann est heureux, c'est le début d'un long week-end prolongé à la campagne dans la maison de ses grands-parents. Mais rien ne se passe comme prévu, il apprend à la radio que son père Jean-Paul Kauffmann a été enlevé à Beyrouth. Le journaliste et Michel Seurat ont été kidnappés à la sortie de l'aéroport et on n'a plus de nouvelles d'eux depuis le 22 mai. C'est le début pour les enfants Kauffmann d'une longue attente, d'une angoisse perpétuelle quant au sort de leur père et d'un long combat pour Joëlle Brunerie, leur mère, pour faire entendre la voix des familles et pour qu'on n'oublie pas les leurs aux mains des terroristes du Hezbollah.

Grégoire Kauffmann, dans ce témoignage, nous raconte ces trois années d'absence, ces longues périodes d'incertitudes et les nombreux espoirs déçus. C'est avec son regard d'enfant que nous découvrons ce que lui et son frère ont subi au milieu d'un monde qui continue de tourner sans leur père présent pour les guider, les rassurer ou tout simplement être là à leurs côtés.

On suit leur mère, infatigable, qui jamais ne cesse de parler des otages dans les médias, qui tente tout et parfois n'importe quoi pour avoir des nouvelles de son mari, qui harcèle les responsables politiques quitte à se les aliéner. C'est le récit du combat d'une femme pour retrouver son mari vivant, pour protéger ses enfants et qui lutte pour ne pas baisser les bras devant tous les obstacles, les charlatans, les politiques qui parfois privilégient les intérêts de la France plutôt que ceux de leurs ressortissants pris en otage par des groupuscules manipulés par des puissances étrangères.

Ce livre est aussi la chronique d'une époque où tout était possible, le portrait d'une France qui bouge, de l'apparition de nouveaux mouvements revendicatifs, de combats politiques contre des extrêmes. Mais aussi d'une jeunesse insouciante dans laquelle évoluent Grégoire et son frère, partagés entre l'exaltation d'une adolescence frivole et l'angoisse de l’enlèvement de leur père, craignant à chaque instant une mauvaise nouvelle. On y voit des enfants tentant de vivre malgré tout leur enfance, profitant de ce qui leur est offert mais avec toujours cette épée de Damoclès au dessus de leurs têtes.

Lorsque l'on n'a pas vécu cette période, on ne peut pas se rendre compte à quel point le Liban était une poudrière pire encore que maintenant. Le pays se déchirait, les Occidentaux, l'Iran, la Syrie et Israël s'affrontaient sur ce terrain. Les enlèvements étaient nombreux, les attentats aussi, la terreur était constante pour les Libanais. Même si pour Jean-Paul Kauffmann cela se termine par une libération au bout de trois longues années, il ne faut pas oublier que Michel Seurat est mort pendant sa captivité, que les otages ont été maltraités, baladés de groupe terroriste en groupe terroriste et qu'ils ont servi de monnaie d'échange pour servir les intérêts de régimes toujours en place actuellement et qui emploient toujours les mêmes méthodes et pire encore.

Jamais dans son récit l'auteur ne laisse transparaître un quelconque ressentiment vis-à-vis de ceux qui ont privé son père de liberté et lui d'un père. C'est admirable car je ne pense pas que j'aurais pu en être capable. Cet ouvrage est un témoignage intéressant permettant de revivre cette époque des années quatre-vingt en France marquée par des espoirs politiques, des excès en tous genres, mais aussi par de nombreux attentats et enlèvements de nos ressortissants. L'ombre et la lumière, en quelque sorte.