Les Chroniques de l'Imaginaire

Chroniques d'un enfant du pays - Baldwin, James

Né en 1924 dans le quartier new-yorkais de Harlem, James Baldwin a grandi dans cette Amérique encore imprégnée des idées racistes qui la hantent encore aujourd'hui. Baldwin est noir et, comme tout noir américain, la couleur de peau a toujours été un sujet. C'est cette thématique qu'il aborde dans Chroniques d'un enfant du pays, une succession de réflexions sur ce que signifie être noir aux États-Unis dans les années cinquante.

Un mot qui revient souvent est l'amertume. L'amertume d'être jugé d'emblée pour sa couleur, peu importe le niveau d'études ou le caractère. L'amertume de sentir sur ses épaules le poids du passé. La grand-mère de James Baldwin était née esclave, la domination blanche était encore ancrée dans les esprits. L'amertume de devoir contorsionner sa personnalité pour qu'elle corresponde aux desiderata des interlocuteurs blancs.

James Baldwin utilise des évènements précis pour étayer ses propos, notamment les émeutes de Harlem en août 1943. Il y parle de ce sentiment d'injustice qui couvait et qui a fini par éclater, devancé par les émeutes de Detroit un mois plus tôt. Il relate aussi son arrivée dans le New Jersey pour y travailler. C'est à ce moment-là qu'il  a compris "ce qu'être un Noir veut dire". Là, on ne sert pas les noirs. Le noir doit sortir tête basse du restaurant, du bowling, des bars. Jusqu'au jour où l'auteur, excédé, laisse éclater sa colère dans un restaurant. Un voyage à Atlanta de musiciens noirs qui tourne au fiasco, la description d'un Harlem populaire, une référence cinématographique biaisant le regard sur la communauté noire sont d'autres témoignages des difficultés quotidiennes vécues par les afro-américains.

Aux chroniques subjectives mais étayées sur la condition des noirs s'ajoute une dimension personnelle puisque l'auteur revient sur son histoire. Sa grande fratrie dont il était l’aîné, lui qui est devenu chef de famille à dix-neuf ans à la mort de son père. Le conflit latent qui minait la relation entre eux deux, le pasteur inflexible et taiseux qui en fin de compte, James Baldwin s'en souviendra plus tard, était fier de son fils.

Le recueil s'achève sur le séjour de James Baldwin en France, qui trouve une autre forme de réflexion sur son identité. A Paris, il se trouve confronté à l'esprit africain, et comprend que le regard du descendant africain né aux États-Unis ne peut être le même que celui de l'Africain colonisé. Le regard même des blancs européens diffère selon le noir sur lequel il se pose. La dernière chronique pousse encore plus loin la singularité de l'humain noir lorsque James Baldwin débarque dans un village suisse qui n'a jamais vu un tel individu sur ses terres. Encore une fois, même si c'est sans méchanceté, l'auteur est réduit à la couleur de sa peau. Toutefois, cela l'amène à creuser sa réflexion et à inverser l'angle de vue, en soulignant que l'humain noir n'est plus une communauté assignée à un territoire. Que la façon dont les blancs ont géré les différences raciales les a transformés eux-mêmes. Et qu'une nouvelle problématique a émergé. Le blanc va devoir se réinventer. "Ce monde n'est plus blanc, et il ne sera plus jamais blanc".

A travers toutes ces chroniques, James Baldwin livre une réflexion large sur la condition noire, balayant les champs de la politique, de l'histoire, de la religion ou du cinéma. Il pointe du doigt les difficultés et injustices, sans rancoeur mais avec conviction. Et force est de constater que, sur bien des points, la réalité actuelle lui donne encore raison.