Les Chroniques de l'Imaginaire

Blanc - Tesson, Sylvain

Partir en hiver, depuis les bords de la Méditerranée où sombre la montagne des gerbes de palmiers de Menton. Remonter vers le nord-est et suivre la courbure de la chaîne des Alpes. Traverser l’Italie, puis la Suisse, l’Autriche et la Slovénie pour enfin terminer à Trieste, ville portuaire et plate-bande étroite de l’Adriatique : telle est la recette, pardon, tel est le dernier voyage que nous livre Sylvain Tesson dans Blanc.

De 2018 à 2021, accompagné de son ami Daniel du Lac, guide de haute montagne et alpiniste chevronné, ils cheminent ensemble au plus près de la crête axiale, sous un ciel vierge, s’élevant chaque jour dans un monde sans contour, recouvert d’un seul et unique voile blanc. 

Ils dorment dans des refuges ou des abris de fortune au gré du vent et de la neige. Car de la neige, il y en aura des centaines de kilomètres à arracher, mètre après mètre, à ski, à pied ou à la force des bras. Une neige propice à l’évasion pour surmonter les dénivelés quotidiens et dont la couleur devient vite un réservoir hypnotique qui accorde les images aux humeurs.

Une véritable aubaine pour « dissoudre le temps, dilater l’espace et refouler l’esprit au plus profond de soi. Dans la neige, l’éclat abolit la conscience. Avancer importe seul. L’effort efface tout – souvenirs et regrets, désirs et remords ».

Pour la première fois depuis qu’il voyage, Sylvain Tesson (qui a délaissé la boisson) semble avoir appris une nouvelle leçon à travers cette folle aventure : on trouve davantage de grâces dans le cheminement que dans la destination. Il aurait pu se référer à Robert Louis Stevenson pour le coup mais comme il en cite déjà énormément d’autres, on lui pardonne cet affront.

Blanc est à la fois un défi et la poursuite d’un rêve d’enfant : celui de faire l’école buissonnière géante. Avec Daniel du Lac, ils aiment relier des lieux inaccessibles par des endroits infranchissables. On vit avec eux ce périple qui s’étale sur quatre années, entrecoupé par l’épisode Covid et confinement. On traverse un spectre d’émotions : la joie, la peur, l’espoir et une certaine forme de plénitude, si ce n’est même de gratitude quand la montagne les laisse vivre un jour supplémentaire.

Cette lecture aurait pu être un grand bol d’air pur si elle n’avait pas été par moments polluée par de trop nombreuses références littéraires. Un choix personnel de l’auteur mais qui au fil de ses livres alourdit chaque fois davantage ses propos. Et en même temps, il en faut des ressources intérieures pour passer des journées entières à racler un paysage souvent identique (pour la profane que je suis, je ne vois dans la haute-montagne que montées et descentes, col rocheux et dangers d’avalanches).

Ceci dit, Sylvain Tesson ne manque pas d’humour. D’une certaine routine, « la porte après le vent, la table après la pente, le poêle après la neige, la soupe après l’effort, la flamme après la blancheur », il en tire toujours une sorte de mantra qui ne cesse de renvoyer le citadin à une potentielle mais profonde remise en question. Alors que ce dernier vit entouré de possessions matérielles, la richesse véritable s’avère pour l’auteur résider dans le peu, le nécessaire et particulièrement à travers la cessation de l’effort davantage que dans la sophistication ou l’abondance de jouissances.

Bref, une énième quête spirituelle et perpétuelle qui nous rappelle que le monde est plus vieux que le récit des hommes. Un récit qui me laisse néanmoins perplexe tant je n’arrive encore pas à me décider avec Tesson si j’aime ou si au contraire il m’exaspère. Disons que j’apprécie son style et ses envolées philosophiques qui ne manquent pas d’épaisseurs ni de consistances. L’auteur a indéniablement le phrasé haut et subtil mais à la longue personnellement je m’en lasse. Même si je n’enlève rien à la valeur de ses pensées, finement trouvées ou travaillées. 

J’ai l’impression que lire du Tesson, c’est un peu jouer à pile ou face. Un coup il m’emporte avec lui dans ses bagages et j’ai plaisir à évoluer à ses côtés. Autant, la fois d’après, je le trouve dépassé, figé dans sa façon d’opérer, comme si à vouloir se différencier et contraster avec son époque, il en oubliait d’où il venait…

Quand il évoque le luxe, le vrai luxe qu’assure un repos bien mérité après une journée de dur labeur passée à grimper (par choix, par défi ou par loisir) une succession de falaises, il en oublie ces gens modestes (ceux qui à ses yeux ont « une vie de grande personne ») qui cherchent peut-être par dépit le repos salutaire dans d’autres formes simples de consumérisme.

Parce qu’au final, c’est ce que j’en retiens à chaque fois, avec une pointe de mépris (d’envie ou de colère selon les ouvrages). Il marche, il dort, il mange. Il pense, il jouit, il respire. Et surtout, il écrit. Mais finalement il ne fait rien de plus que consommer sa vie comme nous autres, avec à la clé l’assurance d’être au moins publié (et par chance, lu).