Les Chroniques de l'Imaginaire

Les cancrelats à coups de machette - Paulin, Frédéric

Dans plusieurs régions de France, des corps ont été retrouvés, démembrés et éparpillés sur des terrains vagues ou des champs. Le lien entre ces carnages, c'est l'origine des cadavres : le Rwanda. Toutes les victimes en sont originaires et semblent être des citoyens sans histoire. Un colonel de gendarmerie est chargé de l'enquête, flanqué d'une femme rwandaise et d'un étrange personnage qui a tout du barbouze.

Rapidement, ils devinent que l'origine de ces crimes prend sa source vingt-cinq ans plus tôt à Kigali lors des quatre terribles mois qui ont suivi la mort du président Habyarimana. Cette période qui a vu les Hutus massacrer les Tutsis, laissant près d'un million de morts en l'espace de cent jours.

Frédéric Paulin revient par le biais de ce thriller sur l'origine et le début du génocide rwandais, sur l'horreur qu'a été ce massacre, sur la folie sanguinaire qui s'est emparée de ces hommes et femmes hutus qui ont massacré sans vergogne des hommes, des femmes, des enfants qui étaient leurs voisins, leurs collègues. L'auteur nous livre la descente en enfer de deux personnages, les horreurs qu'ils ont affrontées et subies, la violence extrême qui s'est emparée de la population à l'encontre d'autres Rwandais qui ont juste eu le tort de naître Tutsis.

Ce que nous décrit Frédéric Paulin, c'est l'organisation de ce génocide, le conditionnement des foules par la radio, les discours et dont le facteur déclencheur sera la mort du président. Depuis des années, la haine couvait, attisée par certains politiques Hutus appelant à se débarrasser des Tutsis, les déshumanisant, les comparant à des cancrelats qu'il fallait écraser. D'autre part, l'auteur pose la question de qui a vraiment organisé l'assassinat du président, question que l'on se pose toujours. Il est à noter que la femme d'Habyarimana a été parmi les plus actives concernant la propagande anti Tutsis puis après la mort de son mari en appelant à la vengeance sans pitié. À ce jour, réfugiée en France, elle n'est toujours pas poursuivie pour complicité de génocide.

Au travers de l'intrigue de ce roman, on se rend compte de la passivité de la communauté internationale et particulièrement de la Belgique et de la France qui ont laissé faire en se contentant de protéger leurs ressortissants et en n'intervenant pas lorsque des massacres étaient commis sous les yeux de leurs soldats. On s'étonne toujours et on aimerait comprendre l'absence de réaction de Mitterrand, interdisant à ses forces armées d'intervenir. Aveuglement ou a-t-il consciemment fermé les yeux sur les exactions d'un régime qu'il soutenait depuis plusieurs années ? 

Pour ceux qui n'ont pas connu ces événements, il est presque inconcevable d'imaginer que l'on puisse exterminer près d'un million de personnes en cent jours. Les Hutus ont réussi à dépasser dans l'horreur et la rapidité la barbarie nazie, cette folie étant le résultat d'années de propagandes et de montée de haine. Certains passages sont terribles, glaçants mais rejoignent les images aperçues à l'époque.

L'intrigue policière est secondaire, c'est plus le destin de François et Dafroza qui nous intéresse, ce qu'ils ont subi et ce qu'ils ont dû faire pour survivre. La description des atrocités est édifiante, celle de l'organisation du génocide l'est tout autant. Comme d'habitude, Frédéric Paulin s'est beaucoup documenté et nous force à nous interroger sur les responsabilités en nous livrant une version plus que plausible de l'origine et des complicités du massacre.

Je n'ai pas lâché ce livre, sombrant parfois dans la stupeur, la colère, et la désespérance du genre humain. Tout ceci alors que je connaissais ces événements, que je les suivais dans les journaux et à la télévision, mais après tant d'années je reste toujours interdit par une telle folie meurtrière.

Cette lecture sur ce sujet peut venir en complément de celle de Petit pays de Gaël Faye et du visionnage du film Hôtel Rwanda de Terry George.