Les Chroniques de l'Imaginaire

Sortir de l'ombre : une histoire de sororité en prison - Douru, Muriel

Jade n’a que dix-huit ans quand elle est arrêtée pour avoir tenté de gagner un peu d’argent en jouant la mule pour un trafiquant de drogue. Pour la première fois de sa vie, la jeune fille se retrouve dans l’univers très particulier d’une maison d’arrêt.

A son arrivée, elle est accueillie par Maryam et Florence, deux autres détenues qui font partie du collectif des Pluri’elles. C’est un collectif de prisonnières, épaulé par Médecin du Monde, qui essaie de prendre soin des femmes au sein des prisons via différentes actions. Elles accueillent les nouvelles arrivantes, leur expliquent comment fonctionne la prison, et régulièrement se réunissent afin d’améliorer le quotidien des prisonnières via des actions parfois très banales vues de l’extérieur comme avoir accès à une cuisine collective afin de manger ensemble.

Pendant les deux ans de son incarcération, Jade va grandir et évoluer au sein de la prison et prendre une part active au collectif. C’est en grande partie à travers ses yeux que nous aussi nous allons découvrir ce monde étrange et violent qu’est le système carcéral français.

Cette BD documentaire remet, assez violement sans doute, les pendules à l’heure. Loin des clichés télévisuels, on découvre un monde où le désespoir n’est jamais loin, où une certaine forme de violence existe, mais aussi une sororité extraordinaire via le collectif Pluri’elles. Ces femmes prennent soin des autres femmes, et elles se soutiennent mutuellement afin de mieux supporter l’univers de la prison.

Sans jamais juger, on découvre le passé de certaines de ces femmes, pourquoi et comment elles sont arrivées là, mais l’autrice ne prive pas pour autant ses personnages de libre arbitre. Si l’autrice ne juge pas, les personnages peuvent le faire, et elles ne sont pas toujours tendres entre elles, surtout quand certains sujets sont abordés.

J’ai trouvé cette BD très intéressante et très bien écrite. Elle nous montre la dureté d’une incarcération et peut contribuer à éliminer une partie des fantasmes que certains se font sur la prison. Non ce n’est pas un quatre étoiles où tout est beau et rose pour les détenues. C’est plutôt un microcosme replié sur lui-même, avec les abus que cela engendre. Le prix du téléphone en prison est, par exemple, exorbitant et c’est un gros groupe français qui s’en met plein les poches, tandis que les prisonnières peinent à gagner un peu d’argent pour survivre et cantiner.

Des thèmes très difficiles sont abordés, tels que le suicide en prison, le harcèlement des hommes et parfois des surveillantes, et ces thèmes ne sont pas édulcorés. Sans tomber dans l’excès de crudité, sans doute pour laisser un peu de leur dignité aux personnage, l’autrice nous montre que les abus sont bien réels, et que les prisonnières en souffrent, ajoutant une peine supplémentaire à celle que la justice leur inflige.

Une BD que je conseillerais à tout ceux qui veulent en savoir plus sur la prison, et plus particulièrement sur les femmes en prison et leur prise en charge insuffisante. C’est finement écrit, assez didactique sans tomber dans la caricature de la leçon. Les dessins sont simples, car ils ne servent qu’à souligner le propos global de l’album, mais ils sont suffisants pour qu’on ressente parfois les hauts murs qui se referment sur nous.