Avec la collection Les Clandestines de l'histoire, initiée en 2007 avec Kiki de Montparnasse, José-Louis Bocquet et Catel Muller nous invitent à découvrir ou à redécouvrir des personnalités féminines marquantes peu connues du grand public. Ou, comme Josephine Baker, pas connues pour ce qu'il y a de plus significatif dans leurs vies. Avec ce cinquième roman graphique, le duo nous propose de partir à la rencontre d'Anita Conti, surnommée la dame de la mer.
Née en 1899 en région parisienne, Anita développe très vite un amour pour la mer et l'océan, grâce à ses parents qui l'emmènent souvent sur les côtes de Bretagne ou Atlantique. Ils voyagent beaucoup et elle les suit, s'imprégnant chaque fois davantage du monde qui l'entoure. Au fil des années et des rencontres, alors qu'elle est installée comme relieuse de renom à Paris, elle se fait également un nom dans l'écriture d'articles sur la pêche, l'huître... Tant et si bien que l'Office Scientifique et Technique des Pêches Maritimes l'engage comme chargée de propagande afin de faire connaître au grand public le bien-fondé et l'utilité de cet organisme. A cette fin, elle prendra part à des expéditions longues en mer, ce qui est inédit pour une femme, d'autant qu'elle sera seule à bord au milieu d'un équipage d'hommes. Mais c'est loin d'être un problème, tant elle est passionnée par la mer et désireuse de vulgariser auprès du grand public l'océanographie et les questions maritimes.
Fine observatrice du monde marin, elle sera une des premières à pointer du doigt le problème de la surpêche et de la nécessité d'inventer de nouvelles pratiques afin de garantir aux humains de pouvoir manger du poisson et à la nature de pouvoir se régénérer sans risque de dégrader les écosystèmes et mettre en danger les espèces.
Précurseur de la protection du monde marin, elle est aussi à l'avant-garde du féminisme, non pas dans le militantisme mais tout simplement dans la pratique. Mariée à Marcel, un homme intelligent, doux et compréhensif, respectueux de la liberté de son épouse, tous deux décident d'un commun accord de continuer à s'aimer comme des amis et non plus comme des amants. Pourquoi faire semblant quand on ne trouve plus son équilibre ? D'autant que le nouvel équilibre d'Anita s'appelle Pâquerette, qu'elles se sont reconnues comme des âmes sœurs à la première rencontre et que les aléas de la vie les ont fortement rapprochées. Amies ou amantes ? Le roman graphique maintient subtilement le doute qui n'est pas levé dans la réalité. Quoi qu'il en soit, Anita occupe un rôle bien loin du modèle prédominant de la femme au foyer de l'époque. Elle sillonne le monde, s'investit intellectuellement et physiquement, et n'aura de cesse de défendre les océans toute sa vie.
A ses côtés, nous croiserons des figures majeures telles que Jean Cocteau, Marie Curie, Théodore Monod, Jacques-Yves Cousteau, Michel Le Bris, Ella Maillart... Parmi eux d'autres acteurs de la défense du monde marin qui auront laissé leur nom à la postérité alors que celui d'Anita Conti, qui retentissait si fort de son vivant, est petit à petit oublié. Nous connaissons tous le commandant Cousteau, que nous visualisons avec son bonnet rouge. Le nom de Théodore Monod appelle instantanément l'image du désert. Mais Anita Conti... Rien, sauf peut-être pour les plus anciens, les plus érudits ou les plus passionnées par l'univers marin.
Remercions donc José-Louis Bocquet et Catel Muller de nous faire rencontrer cette femme hors-norme, au destin exceptionnel, qu'elle a tissé de ses propres mains. Comme toujours, le découpage chronologique est très clair, la progression du parcours de vie limpide, et le narratif accrocheur. Un éclairage absolument passionnant sur cette nouvelle clandestine de l'histoire !