Les Chroniques de l'Imaginaire

La petite-fille - Schlink, Bernhard

Kaspar est libraire à Berlin. Comme chaque soir, il prend son temps pour rentrer chez lui, prenant toujours le même itinéraire. Et comme chaque soir ou presque, il retrouve l'appartement en désordre, les affaires de sa femme Birgit éparses un peu partout. Une nouvelle fois encore, elle a sûrement trop bu. Prenant son temps, il mange et range un peu pour ne pas avoir à affronter la vision de sa femme endormie n'importe où d'un trop plein d'alcool. Mais cette fois, c'est dans la baignoire qu'il la retrouve, morte noyée ou suicidée. Personne ne peut le dire.

Après des semaines de désœuvrement, d'errances, Kaspar découvre que Birgit écrivait et qu'elle était en contact avec un éditeur. En fouillant dans son ordinateur, il découvre une autre Birgit et commence à mieux comprendre son mal-être chronique et son addiction à la boisson. Mais il tombe des nues lorsqu'il découvre qu'elle a eu un enfant l'année où ils se sont rencontrés en 1964 à Berlin, trois ans après la construction du mur.

Elle enfant de la RDA, lui venant de la RFA pour des rencontres entre étudiants des deux bords. L'amour puis l'organisation de la fuite de Birgit qui laisse derrière elle sa grand-mère, sa mère et ses sœurs et surtout cette fille dont Kaspar ignorait tout. Il va alors partir en quête de cet enfant qui a grandi là-bas, pour comprendre Birgit et son silence et pour expliquer à cet enfant pourquoi elle a fui la RDA.

Bernhard Schlink nous raconte l'histoire de ce couple, de sa rencontre, de la fuite de Birgit et de sa vie après cela. De ce terrible secret qui l'a rongée pendant toutes ces années, la faisant sombrer petit à petit dans l'alcoolisme. En partie pour oublier, en partie pour moins se sentir coupable de ne pas avoir tout entrepris pour la retrouver après la réunification. Ce roman est non seulement la chronique d'une histoire d'amour mais c'est aussi celle de l'Allemagne d'après-guerre séparée en deux puis enfin réunifiée après quarante-cinq ans.

Au travers de la quête de Kaspar pour retrouver cet enfant devenu adulte, puis pour construire quelque chose avec la petite-fille de Birgit, Bernhard Schlink nous parle des conséquences de la réunification sur les Allemands de l'Est, de ces laissés-pour-compte qui ont vu la réunification à marche forcée briser leurs croyances et leurs certitudes. Certains sont restés nostalgiques, d'autres sont tombés dans l’extrême-droite, voyant dans l'étranger la cause de leurs problèmes économiques.

Par le biais de cette fille, Svenja, proche des milieux néo-nazis, l'auteur aborde le sujet de l'après-guerre en Allemagne et du rapport des Allemands avec le nazisme. Des conséquences sur les générations d'après, sur leur sentiment de culpabilité mais aussi de ceux qui se revendiquent encore de cette idéologie.

Ce roman est plein de douceur, sans jugement, l'histoire plutôt tranquille nous laisse découvrir paisiblement chaque sujet abordé. Même la relation entre ce grand-père d'adoption et cette petite-fille influencée par des parents néo-nazis est relativement apaisée. Cette relation qui se construit est faite de compréhension, d'envie contenue de faire découvrir d'autres choses à cette petite fille, de l'éveiller à la culture. C'est émouvant parfois et arrive heureusement à éviter le pathos.

Les personnages évitent la caricature et nous font tous découvrir une partie de ces Allemands qui ont vécu et subi les conséquences de cette partition. L'histoire est plaisante à lire et l'on attend avec envie de découvrir ce qu'il va advenir de cette relation entre ces deux personnes que tout sépare.

Cet ouvrage foisonne d'angles d'approche pour sa lecture et intéressera pour cela de nombreux lecteurs.