Les Chroniques de l'Imaginaire

Les ravissements - Carson, Jan

Hannah a onze ans et vit à Ballylack, petite ville d'Irlande du Nord, et ce 25 juin 1993 c'est le début des vacances d'été. Elle rêve d'un peu d'insouciance au milieu des troubles et attentats qui agitent l'Irlande du Nord depuis des décennies. Mais ce qu'elle souhaite surtout, c'est un peu plus de liberté, de pouvoir enfin avoir les mêmes activités que ses camarades de classe, elle qui est toujours laissée à l'écart. Non pas à cause de son étrangeté mais plutôt à cause de ses parents qui refusent toute sortie ou activité distrayante à l'école et en dehors.

Ce sont des fondamentalistes protestants, surtout son père, qui lui interdisent tout ce qui peut la distraire de son chemin vers Dieu. Heureusement pour Hannah, son grand-père est là, il est le seul à douter de cette foi sans faille, le seul à la divertir et à lui enseigner autre chose que la religion.

Mais un événement vient bouleverser la tranquillité de cette ville. Ross, un camarade de classe d'Hannah, meurt d'une étrange maladie. Personne ne s'inquiète car cet enfant était souvent malade. Mais lorsqu'un deuxième enfant de la classe meurt des mêmes symptômes, tout le monde commence à paniquer et tente de protéger son enfant. Chacun échafaude des hypothèses, soupçonne quelque chose ou accuse même les papistes d'être responsables de cette maladie.

L'un après l'autre, les camarades d'Hannah meurent de la même maladie sans que les médecins ne puissent trouver une solution. Quant à Hannah, elle ne s'inquiète plus car les enfants morts lui parlent. Chacun au moment où il meurt lui apparaît et lui explique comment c'est après et lui explique qu'elle ne mourra pas puisqu'elle est là pour recueillir leurs impressions sur ce qu'ils ont vécu parmi les vivants maintenant qu'ils sont morts.

En apparence unie, la communauté de Ballylack commence à rechercher un ou des coupables, les dissensions se font jour, les reproches accablent les parents des survivants et chacun cherche à sauver à tout prix sa progéniture. C'est sous les regards des vivants et des morts qu'Hannah doit poursuivre sa vie de miraculée jusqu'à ce qu'un événement vienne tout bouleverser.

Dans ce beau roman, Jan Carson arrive à mélanger avec enchantement le réel et le surnaturel. Moi qui ne suis pas particulièrement fan des récits fantastiques, cette incursion des morts dans le monde des vivants ne m'a nullement gêné, bien au contraire. Cela s'imbrique parfaitement dans le récit et l'univers qu'a su créer l'autrice irlandaise dans ce livre plein de légèreté en dépit des morts qui s'accumulent. L'humour est aussi omniprésent et fait la force de ce récit qui alterne moments douloureux et petites scènes percutantes sur la psychologie humaine.

Ce livre est aussi la satire d'une communauté en apparence tranquille et unie contre l'ennemi papiste mais au fil du récit et des morts on s'aperçoit que l'unité de façade se fissure rapidement. Les divisions sont nombreuses entre les familles, les origines des uns et des autres, les croyances ou au sein même des familles. Jan Carson nous décrit de façon mordante les différentes façons qu'ont les parents d'appréhender l'épidémie et de réagir face au drame qui les touche. C'est à la dislocation d'une communauté que l'on assiste, pas seulement à cause des enfants morts mais surtout à cause des vivants et des rancœurs cachées.

Au bout du compte, les plus sages et réfléchis au milieu de cette agitation, ce sont Hannah et les morts avec leurs réflexions sur leur vie d'avant.

Mais là ou l'autrice s'en donne à cœur joie, c'est lorsqu'elle dépeint l'attitude et les réactions du père d'Hannah face aux évènements et face au début des questionnements de sa fille. Cet homme froid si engoncé dans ses principes et sa foi et qui ne varie pas d'un iota face aux épreuves, qui s'en remet aveuglément à Dieu sans ne jamais rien remettre en question, ne peut qu'être antipathique même si parfois on le prend en pitié. J'ai aimé le personnage de la mère d'Hannah qui doucement commence à se rebeller devant les certitudes et la condescendance de son mari et qui réagit finalement comme une mère et non comme une croyante. Mention spéciale aussi au grand-père qui apporte la petite touche d'originalité et ce côté un peu passionné des Irlandais au sein de cette famille rigide.

On ne peut qu'être touché par le personnage d'Hannah, cette petite fille qui n'a jamais le droit de faire la même chose que ses camarades, de se divertir, d'aller aux anniversaires et qui voit ses copains mourir les uns après les autres. Cette enfant solitaire qui cherche à comprendre le monde et tente de s'y faire une petite place même si cela va à l'encontre des principes de son père.

Un beau roman, enchanteur, plein de poésie et surtout d'humour et d'ironie.