« Moana, c’est le bleu absolu que prend l’océan lorsque le regard plonge vers les profondeurs sans se rassurer sur l’élan pailleté d’un banc de poissons, l’éclat sourd d’une grappe de corail ou la masse sombre d’un tombant. Pour cette raison, moana désigne aussi l’abysse. Plonger dans le bleu angoisse et fascine. Plonger dans le bleu, c’est la petite mort, le renoncement de l’être. C’est devenir soi-même, pour quelques instants d’éternité. »
Sur la presqu’île de Tahiti, Paulot, la cinquantaine, affronte une journée sans fin dans sa maison en deuil : son beau-fils, Moana, beau garçon âgé de seize ans, passionné de surf et amoureux de l’océan, s’est noyé.
Accablé de chagrin mais étranger à tout un cérémonial qui lui échappe, cet îlien d’adoption ne parvient pas à trouver ni sa place, ni les mots au sein d’une famille recomposée à la fois unie et fragile, qu’il aime et défend farouchement sans pourtant toujours réussir à la comprendre.
Dans un état proche de l’apnée, où les larmes trouvent difficilement leur chemin tant la pudeur et la dignité semblent être (à mon grand regret) traditionnellement de mises à cette occasion, Paulot tente de s’immerger au milieu de ses souvenirs et de ses démons. Avant de refaire surface, comme purifié par la douleur.
Je ne saurai trop quoi dire sur cette histoire que j’ai pris plaisir à lire mais dont je ressors avec l’impression d’être restée simple spectatrice. Le récit n’en demeure pas moins magnifiquement écrit, avec une douceur et une poésie en parfaite osmose avec le cadre et la trame bouleversante.
C’est un très beau roman sur les liens filiaux et l’amour infini d’une famille aux origines disparates mais solidement soudée. L’écriture est belle et les mots s’alignent parfaitement pour rendre compte avec sincérité du désarroi qui parcourt le narrateur.
Pourtant, à mon grand regret (encore), je suis restée affreusement déconnectée, comme indifférente aux personnages et à leur tragédie commune. Et c’est ce qui me met mal à l’aise tant je suis d’ordinaire sensible et perméable aux émotions.
Ce n’est peut-être qu’une question de mise à distance, de savoir rester à sa place. En tout cas, pendant toute ma lecture je n’ai cessé de chercher la mienne et, une fois refermé, ce livre me laisse en marge, avec une vague de tristesse et d’amertume.
Je garde quand même à l’esprit ce passage, particulièrement marquant et plaisant, sur l’apparente beauté des paysages exotiques tels qu’on les fantasme dans notre tentative de fuite et dans notre projection de reconstruction : « Je m’imaginais que l’île allait me purifier l’âme, m’arranger le corps. Je m’imaginais enfin enraciné dans l’existence, dans l’espace. (…) Tu parles. Les îles n’ont aucune pitié pour les illusions, Moana. Les îles sont des lieux forts, intenses, violents, faits pour des personnalités déjà constituées. Beaucoup de gens y débarquent persuadés qu’ils vont pouvoir s’y oublier, s’y métamorphoser, alors qu’ils s’y retrouvent face à eux-mêmes et rien de plus, face à leur propre vérité, nus moralement et presque physiquement. Le corps ici ne peut pas se nier, se cacher, il fait trop chaud, l’esprit ne peut pas dissimuler ses lâchetés et ses compromissions, il fait trop clair. »