Spécialiste des identités afro-américaines et en particulier des masculinités LGBTQ+ dans leurs représentations les plus larges, Yannick M. Blec s'est naturellement penché sur l'histoire de l'écrivain essayiste James Baldwin. Né en 1924, James Baldwin a grandi dans une famille pauvre du quartier new-yorkais de Harlem. Il est le premier d'une grande fratrie, fils d'un père inconnu. Sa mère aura ses autres enfants avec David, un pasteur taiseux et brutal en prise avec des problèmes psychiatriques qui élèvera James comme son propre fils mais avec qui il aura une relation conflictuelle.
James grandit dans la pauvreté mais dans l'amour. Ce qui ébranlera sa trajectoire, c'est sa rencontre avec une enseignante qui percevra son intelligence et son potentiel, et lui ouvrira de nouveaux horizons. A l'école, il devient éditeur du journal et rédige des articles. A l'adolescence, il prend aussi le chemin de son père pour devenir pasteur. Mais de plus en plus, il s'interroge sur la religion telle qu'elle est prêchée. Alors il change de voie et retrouve l'écriture ; s'inspire des artistes qu'il côtoie, tels son mentor, le peintre Beauford Delaney.
Mais la vie le rattrape. Pour aider sa famille, il travaille dans le New Jersey et c'est là qu'il se prend de plein fouet le racisme ambiant aux États-Unis. La ségrégation est installée et James n'y est pas habitué. Il subit violemment cet affront. De dépit, il décide de partir en France et de rejoindre cette communauté exilée dans laquelle il espère ne plus être considéré comme un afro-américain. C'est à Paris que sa pensée se façonne de façon plus étayée, avec des analyses pertinentes et engagées sur la condition de noir américain.
La France occupera toujours une place importante dans la vie de James Baldwin, qui vivra de nombreuses années dans sa maison de Saint-Paul-de-Vence. Un refuge dans lequel il écrit, reçoit ses amis.
Entre son enfance et la fin de sa vie, il construira sa pensée autour de l'identité afro-américaine, qui n'est pas aussi vindicative que les mouvements Black Panthers ou Nation of Islam, dans le sens où pour James Baldwin, il ne faut pas d'affrontement. Les blancs et les noirs et les minorités dans leur ensemble forment le peuple américain et chacun doit réinventer sa place dans cette multiculturalité. Le noir n'est plus un esclave, le blanc n'est plus un oppresseur. Mais le temps est long, les mentalités peinent à bouger et les injustices perdurent. La nouvelle génération afro-américaine se soulève et ne se contente pas de paroles pacificatrices, même si elles ne sont pas dénuées de colère et de ressentiment, loin s'en faut. La jeunesse veut renverser la table et James Baldwin représente un modèle dépassé, celui de la conciliation. Sa voix n'est plus aussi représentative qu'auparavant, on déplore d'ailleurs son regard depuis l'autre côté de l'Atlantique, loin de la réalité du quotidien aux États-Unis. Pourtant, les écrits et réflexions de James Baldwin auront marqué l'histoire des mouvements civiques, aux côtés de ses amies Maya Angelou et Toni Morrison entre autres personnalités majeures.
Yannick M. Blec retrace le parcours de cet écrivain engagé dans cette biographie qui se lit avec beaucoup de fluidité. Le chercheur reste factuel et, malgré son intérêt pour les questions d'homosexualité, ne donne pas plus d'importance à ce sujet que ne le faisait James Baldwin, qui avait tout de même des réflexions sur la collusion entre races et sexualité. La propre sexualité de James Baldwin, qui a connu de nombreux amants, par un romantisme chaque fois déçu, n'était pas quelque chose que l'écrivain souhaitait mettre en avant. Le lecteur retiendra tout de même sans doute son grand amour resté à sens unique pour Lucien, qui restera dans son giron tout au long de sa vie.
Cet ouvrage est une aide précieuse pour qui souhaite connaître la vie de James Baldwin et comprendre comment son œuvre s'inscrit dans l'histoire américaine et plus particulièrement celle de la cause noire. Yannick M. Blec propose un regard objectif qui nous permet de bien cerner les ambitions de James Baldwin, sa clairvoyance, son intelligence, sans écarter ses failles. Un complément indispensable à la découverte des écrits de l'écrivain.