Les Chroniques de l'Imaginaire

À présent - Giraud, Brigitte

22 juin 1999, alors qu’elle rentre d’un séjour éditorial sur Paris, Brigitte Giraud apprend la mort soudaine et accidentelle de l’homme qu’elle aimait. Claude, son compagnon avec qui elle et leur jeune garçon devaient emménager prochainement dans une maison récemment acquise sur les hauteurs de Lyon et pour laquelle ils avaient des projets plein la tête.

Tout était prêt, les vacances d’été organisées autour des travaux à réaliser et les copains rameutés pour l’occasion. Pourtant sans un signe, ni petit mot, ni dernier baiser, Claude se tue en moto.

Une vie qui s’arrête et une nouvelle qui commence. Une vie à devoir composer sans lui, sans sa voix, ni sa présence. Un avant et un après à cet évènement brutal et dévastateur que l’autrice nomme À présent

Dans son précédent roman Vivre vite,  elle tentait de comprendre ce qui pouvait être fait autrement, de remonter le temps et d’assembler les pièces d’un puzzle qui comportera à jamais un trou béant.

Dans celui-ci, écrit et publié en 2001, deux ans après l’accident, elle décortique chaque instant qui suit l’annonce de la mort de Claude. Comme suspendue à une temporalité autant étrange qu’incertaine, Brigitte Giraud flotte au-dessus de ces journées irréelles qui lui échappent. 

De l’hôpital à la morgue, en passant par le commissariat et les pompes funèbres, elle assiste impuissante et mutique à ce qui semble se décider malgré elle. La paperasserie administrative, les formalités commémoratives, les questions des proches, les appels téléphoniques, le trajet du convoi funèbre, les problèmes logistiques… 

Tout s’enchaîne vite alors que gronde au fond le sentiment d’injustice face au fracas causé par l’irréversibilité de cette absence avec laquelle il semble impossible de réussir à composer. Chaque mot de l’autrice témoigne de la douleur, de la détresse et de la peur tout autant que de la colère et de l’incompréhension qui se mêlent à ce maudit ordre des choses. 

C’est une lecture tout aussi émouvante que la précédente. Rentrer dans l’intimité d’un deuil aussi frais est quelque chose qui peut paraitre incongru ou morbide. Pourtant, il n’en est rien. Brigitte Giraud conserve une plume sobre mais percutante pour venir interroger l’intolérable énigme d’une absence à laquelle on peut tous un jour se retrouver confrontée.

Sur la centaine de pages que contient ce récit, j’ai souligné précieusement plusieurs phrases particulièrement soignées et éclairées. En voici deux passages chers à mon cœur : « La mort des autres ne nous bouleversait pas, nous employions des verbes comme clamser, nous étions des héros. Nous étions spirituels et énervés. Nous avions le sens du détail, nous étions souvent insatisfaits, impatients. Nous exigions de la vie qu’elle soit parfaite. Nous avions des critères, en toute innocence. Nous mettions en scène notre arrogance ordinaire. » (p. 11)

Brut, beau. Terriblement triste mais touchant et surtout effroyablement universel.

« On a les yeux rivés sur l’avenir, on ne décroche pas de la ligne d’horizon. On attend d’être tranquille, apaisé enfin, on attend demain. À force d’attendre, on piétine chaque jour qui passe, on le vit comme un état provisoire, on ne s’installe pas vraiment. On a le cul entre deux chaises, on est autour de la quarantaine, on est sur une rampe de lancement, et déjà on regarde en arrière. » (p. 63)