Le père de Sonya était un homme important dans la Délégation, et à seize ans sa fille cadette, Sonya, a posé pour une affiche de propagande, devenant ainsi le visage de ce régime totalitaire. Un an plus tard, quand il a été renversé par la rébellion, la jeune fille, seule survivante de sa famille, a été enfermée à l'Objectif. Elle y vit depuis dix ans, sous cloche, comme ses co-détenus, sans aucun lien avec le monde extérieur.
Un jour, un homme qu'elle hait plus qu'aucun autre vient la voir et lui propose d'être libérée de sa prison si elle retrouve une petite fille disparue. Malgré ses réserves, elle finit par accepter. Toutefois, ses premières sorties dans un monde où elle est une étrangère indésirable, lui permettent de vérifier que sa mission est sans espoir. Elle va continuer d'essayer, toutefois. Certains de ses co-détenus peuvent avoir des contacts utiles à l'extérieur, et Alexander Price, cet ennemi connu depuis toujours, souhaite vraiment qu'elle réussisse. C'est ainsi qu'elle arrive à Emily Knox.
Le point de départ est intéressant, car situé dix ans après la chute d'un régime totalitaire. Cet intervalle de temps a permis à un nouveau système de se mettre en place, avec ses propres failles, et ses propres opposants. Mais il est assez réduit pour que les gens qui ont vécu les évènements se souviennent, pour la plupart. Habilement, l'autrice montre le passé de cette population par l'intermédiaire de la réaction des gens à Sonya, le visage évident de "l'ancien régime".
C'est d'autant plus facile, et d'une certaine façon justifié, que Sonya n'a pas changé. Le monde a évolué sans elle, qui est restée dans une bulle peuplée de gens qui comme elle, et plus encore qu'elle puisqu'elle fait partie des plus jeunes, étaient "du côté du manche" sous la Délégation. Par ailleurs, la vie dans l'Objectif est difficile, ou du moins rudimentaire, privée de presque tout, et une vie orientée vers la survie matérielle n'est pas forcément propice à l'évolution philosophique. Enfin, Sonya a toujours su qu'elle ne quitterait jamais sa prison, il était donc plus sensé de bien s'entendre avec ses co-détenus qu'à chercher à s'écarter de leurs valeurs, si même elle avait pu penser devoir le faire.
Toutefois elle a acquis des compétences pendant cette décennie. Sans compter que l'Objectif étant un lieu dangereux, elle s'est endurcie, et est devenue beaucoup plus capable de se défendre. Tout cela va lui servir dans la démarche qu'elle a entreprise, et dont elle va se rendre compte assez vite qu'elle dérange dans les hautes sphères du Triumvirat, le nouveau régime.
La progression de l'intrigue est bien maîtrisée. L'autrice nous montre l'évolution du personnage principal entre autres par le changement de son rapport à la Perception, l'implant oculaire qu'elle considérait comme un ami et un confident dans son enfance, dont elle s'est sentie privée quand il a été désactivé, comme ceux de tout le monde au changement de régime, et qui est devenu le moyen de la surveiller. On voit donc les deux faces de ces technologies qui nous promettent que "nous ne serons plus jamais seuls".
Sonya n'est pas quelqu'un de facile à aimer, mais elle est plus complexe que ce visage en deux dimensions qu'on voit au début de l'histoire, ce qui la rend attachante. Les personnages de Naomi Proctor et Emily Knox, inséparables comme les faces opposées d'une pièce de monnaie, posent les questions des modalités, techniques et morales, d'une surveillance totale. Certains personnages secondaires sont aussi présents et prégnants que des fantômes, comme les secrets qu'ils portaient, August Kantor en étant l'exemple type.
Certes, ce roman à la fin ouverte ne plaira pas à tout le monde, et ceux qui cherchent une dystopie bien tranchée avec plein d'action seront très probablement déçus. Il porte toutefois à réfléchir, tout en se révélant un vrai "page turner", en somme une bonne lecture, entre distraction et réflexion.