« Cette entreprise de pompes funèbres a accompagné la moitié des obsèques auxquelles j'ai assisté. Je les regardais sans les voir. D'eux, je tenais surtout à ne rien savoir. Jusqu'à ce treizième cercueil en commun. Par provocation, par défi, pour me rassurer, j'ai voulu passer de leur côté. M'entendre dire ce que leur répètent les familles endeuillées : “Je ne sais pas comment vous faites, moi je ne pourrais pas...”
Du printemps à l'hiver, des funérariums aux crématoriums, des morgues aux cimetières, ces hommes et ces femmes m'ont appris leur métier, ouvert les yeux sur l'entre-deux, ce monde auquel eux seuls sont confrontés. Et ceux que vous n'avez jamais voulu voir, comme moi, demain, vous les regarderez. »
Avec un décès récent dans la famille, ce n’était pas forcément la meilleure période pour entamer cette lecture. Mais comme il n’y a jamais réellement de bons moments pour aborder le deuil, autant le faire par le biais d’une enquête autour du métier.
C’est ce que propose la journaliste Caroline de Bodinat, spécialisée dans l’écriture de portrait, qui nous livre avec empathie, mais aussi un brin d'humour, un récit poignant et juste. Une sincérité qui sonne d’autant plus vraie qu’elle résulte d’une immersion professionnelle d’environ dix mois dans l’univers confidentiel des pompes funèbres.
Ainsi, au-delà des vers du poème de Victor Hugo, Demain dès l’aube nous emmène à la rencontre de ces personnes investies d’une mission aussi singulière qu’indispensable. Ces personnes de l’ombre qui organisent les cérémonies, accompagnent et soutiennent les familles, apaisent les tensions et règlent les soucis du détail pour rendre au mieux hommage à nos défunts (quel que soit l'état des corps et à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit).
Ils sont parfois craints ou à tort renvoyés à la figure caricaturée de Mathias Bones, alias le « croque-mort » lugubre et sans scrupules dans Lucky Luke. Pourtant on découvre une profession loin du morbide, avec ses défis et ses expériences, dont le ressort n’est pas tant de prendre en charge les morts, mais plutôt quelque part d’assurer la tranquillité d’esprit des vivants.
On sent à maintes reprises les émotions de la journaliste, qui n’en a pas tout à fait fini avec ses propres fantômes. On devine les larmes aux bords des yeux, les lèvres qui frémissent à l’évocation d’un souvenir, d’une musique, d’un choix de cercueil ou la tétanisation face aux chambres de combustion.
En témoignent l’accompagnement et le temps accordé à l’autrice pour se préparer à intégrer les différentes équipes, des conseillers funéraires dans les bureaux aux porteurs en passant par les marbriers ou les maîtres de cérémonie. Un temps nécessaire pour mettre à distance certaines émotions et ne pas se laisser envahir par les morts, leurs histoires et leurs familles.
Chaque étape, encore fraîchement inscrite dans ma mémoire, m’a permis de regarder les formalités d’un autre œil. Loin d’être une usine procédurière, cette immersion au sein d’une profession, certes rigoureuse et millimétrée, mais ici avant tout à taille humaine, est également une réflexion originale et novatrice sur notre rapport à la mort de façon plus générale.
Une lecture nécessaire, pas toujours facile dans le fond comme dans la forme (les remises en question et élucubrations intimes de l’autrice prennent quelque fois le pas sur l’enquête et m’ont par moments un peu perdue en cours de route).