Les Chroniques de l'Imaginaire

La fiancée américaine - Dupont, Eric

Tout commence dans le village québécois de Rivière-du-Loup, lorsque Madeleine se met en tête de marier son fils à une Madeleine, tradition familiale oblige. L'aubaine vient de l'autre côté de la frontière, une Américaine partante pour épouser Louis-Benjamin Lamontagne. Les deux fiancés s'entendent si bien qu'un bébé est rapidement mis en route. Mais l'accouchement vire à la tragédie et, au bout du compte, le petit Louis sera élevé par sa grand-mère.

Une grand-mère qui deviendra arrière-grand-mère lorsque Louis se mariera à son tour, et qu'il aura trois enfants dont une fille prénommée Madeleine, tradition perdure. Madeleine-la-Mère veillera sur sa petite famille jusqu'à ce que la mort l'emporte. Si elle veut bien l'emporter un jour, car Madeleine-la-Mère est déjà morte une fois et, depuis, reste auprès des siens comme si de rien n'était. Cette bizarrerie est-elle possible car Louis est croque-mort et que les cercueils occupés reposent dans la pièce attenante à la salle-à-manger ? Quoi qu'il en soit, cet élément étonnant du récit n'en est qu'un parmi d'autres.

Ce qui reste mystérieux tout au long de ces 900 et quelques pages, la question qu'on se pose, c'est "où l'auteur veut-il nous amener ?". Car La fiancée américaine est le récit d'une saga familiale déjantée, dans laquelle chaque personnage a une consistance propre, à qui il arrive des histoires improbables et qui rencontre des personnalités incroyables. Si la fantaisie est indubitablement présente, la colonne vertébrale du récit reste celle d'une famille qu'on suit sur plusieurs générations avec des ramifications inattendues entre les époques et entre les continents. Qui plus est, le personnage central de cette saga en réalité n'est pas la fiancée américaine : c'est papa Louis, son fils. C'est lui qui a vécu en suivant ses désirs, ses excès, là où la vie le menait. C'est lui et sa tache de naissance en clé de fa qui sont à l'épicentre des différentes trajectoires de sa descendance.

Le roman est dense et foisonnant. Le narrateur nous fait partir du Québec pour aller à New York, puis à Berlin, en Italie... On rencontre un tas de gens, tantôt des personnages secondaires, tantôt qui passeront au premier plan. Nous serons plongés dans les affres de la vie d'une Prussienne pendant la deuxième guerre mondiale, nous assisterons à la création du chemin de croix d'un prêtre artiste, nous verrons une jeune fille enceinte malgré elle prendre en main son destin et fonder une chaîne de restaurants, nous lirons la correspondance de deux frères jumeaux qui s'aiment autant qu'ils se détestent et nous saurons tout de la Tosca qui est le personnage de fiction qui survole tout le roman. Et tant d'autres choses encore.

La lecture peut sembler aller dans tous les sens et on peut se perdre en cours de route. Mais un détail ici ou là, pour peu qu'on le relève, donne tout à coup un indice sur la tapisserie finale que tisse peu à peu Eric Dupont et cela ne peut qu'aiguiser notre curiosité. Saluons d'ailleurs la virtuosité de l'auteur qui parvient à tirer des fils pour les nouer ensemble au bon moment. Derrière la fantaisie assumée de l’œuvre, il y a une habileté et une méticulosité impressionnantes, assorties à un talent de conteur indéniable. Si quelques passages sont objectivement longs et non indispensables à la compréhension de l'intrigue, ils font partie du charme de ce roman totalement atypique.

Un pavé de 900 pages peut faire peur mais le récit est suffisamment enlevé et renferme tant de péripéties qu'on n'a pas le temps de s'ennuyer. Il se lit comme un feuilleton, qu'on prend plaisir à suivre en prenant son temps, et cela fait du bien de renouer avec ces histoires qui savent nous ancrer dans un univers, à contre-courant des concisions de la littérature contemporaine.