Les Chroniques de l'Imaginaire

Caza (Galaxies SF - 88)

Pas besoin d'épeler les dix lettres du patronyme et les huit autres de son prénom pour parler de Philippe Cazaumayou, il en suffit de quatre : Caza. C'est sous ce pseudonyme que le dessinateur, aujourd'hui âgé de quatre-vingt-trois ans, s'est fait connaître au tournant des années 70 du siècle passé, d'abord comme illustrateur de couvertures, puis comme bédéaste, avec des titres comme Kris Kool, Scènes de la vie de banlieue ou Le Monde d'Arkadi. Pour peu que le rayon SF de votre bibliothèque soit bien garni, vous avez forcément un échantillon de son œuvre chez vous (moi, c'est la couverture du cycle de Tschaï de Jack Vance). Ces derniers temps, Caza a cependant délaissé un peu ses crayons et pinceaux pour se mettre à l'écriture, à un rythme effréné compte tenu de son âge et de sa relative inexpérience dans le domaine, puisqu'il a rédigé une bonne centaine de nouvelles en l'espace de quelques années à peine.

En lui consacrant le dossier de ce numéro 88 de Galaxies (rebaptisé G'laxies pour l'occasion), Richard Comballot a souhaité mettre l'accent sur ce pan aussi récent que méconnu de l'œuvre de Caza. On y trouvera un entretien et un article très intéressants (encore qu'on aurait pu se passer d'une dénonciation aussi inattendue que malvenue des supposés méfaits du « wokisme décomplexé »…) dans lesquels l'artiste présente dans le détail sa vision de l'écriture et de la science-fiction en général, avec un « Cazabécédaire » ludique et une bibliographie détaillée en complément. Les arts graphiques ne sont pas totalement passés sous silence, avec des études signées Dominique Warfa et Jean-Pierre Andrevon sur les illustrations science-fictionnelles et politiques de Caza, tandis que Ugo Bellagamba offre un panorama du Monde d'Arkadi, fresque en dix tomes récemment rééditée par Les Humanoïdes associés. Une nouvelle inédite, Les Fémines de Vénus, vient compléter le tout. On y retrouve la patte inimitable de l'écrivain loufoque et grivois, aussi bien dans le style que dans le fond.

La partie « Nouvelles » de ce numéro comprend cinq textes. Elle s'ouvre avec la lauréate du prix Hugo de la meilleure nouvelle 2024, Mieux vivre grâce aux algorithmes de l'autrice américaine Naomi Kritzer. C'est un texte bien dans l'air du temps que l'on ne peut lire qu'avec un sourire narquois au coin des lèvres. Des gens vissés sur leur smartphone installent une mystérieuse application de bien-être qui, malgré ses suggestions inhabituelles, semble effectivement en mesure d'améliorer leur vie. Mais qui se cache derrière ? Suit une autre nouvelle primée : La Vieille dame et l'amer de Nicolas de Torsiac, 2e place du prix Alain le Bussy 2024. Le registre est tout à fait différent : une vieille femme et son compagnon androïde errent dans les ruines d'un monde détruit à la recherche d'un contact humain. Mélancolique à souhait. On passe à quelque chose de plus léger avec L'Épopée martienne de Jean-Pierre Fontana, qui imagine le déroulement de la Coupe du monde de rugby 2227 sur Mars, avec une équipe de France passablement remaniée pour l'occasion. Le twist se voit venir de loin, mais ce n'est pas sur lui que repose le sel de l'histoire et c'est une lecture plaisante qui illustre l'amour du ballon ovale de son auteur.

Décédé en février 2024, Brian Stableford nous plonge avec Code de conduite dans l'esprit d'un gigantesque camion de transport doué de conscience. C'est une lecture très ludique, avec notamment un clin d'œil rigolo aux trois lois de la robotique d'Asimov, mais qui donne aussi à réfléchir sur les implications de l'intelligence artificielle. Enfin, la découverte ukrainienne est Fenêtre avec vue sur Paris de Mechyslava Bilyavska, une uchronie atomique passablement désespérée entre vains échappatoires virtuels et environnement dévasté rempli de mutants.

La version numérique de ce numéro propose en plus trois nouvelles de belle facture ayant décroché un accessit au prix Alain le Bussy 2024. Des fils invisibles, d'Élodie Coudert, nous fait suivre une jeune femme dont le travail consiste à numériser les ouvrages d'une bibliothèque des temps passés, travail qui semble bien vide de sens quand on ignore à qui il est destiné. L'Île sans Arthur et sans elles, de Florian Herbert-Pontais, suit les déboires d'une expédition scientifique sur une île inexplorée, entre mystère, romance et fantastique. Enfin, Puisqu'il fallait souffrir, de S. Egidius, est une petite pépite de noirceur : cette histoire d'homoncules torturés et de tombes profanées a de quoi glacer le sang.

On retrouve comme d'habitude les critiques de livres, bandes dessinées, films et séries en fin de revue. La Croisière au long du fleuve de Didier Reboussin fait cette fois escale chez Paul-Jean Hérault, auteur de plusieurs romans indépendants ainsi que de la série de Cal de Ter qui suit les aventures cosmiques de deux rescapés de la destruction de la Terre. Ugo Bellagamba, RangerGCG et Patrick Gass s'intéressent quant à eux au jeu de rôles d'horreur Alien, inspiré de la saga cinématographique éponyme et développé par l'éditeur suédois Free League Publishing.