Les Chroniques de l'Imaginaire

La chute de Gondolin - Tolkien, J.R.R. & Lee, Alan

Rien ne va plus pour les peuples libres de la Terre du Milieu. L'un après l'autre, les royaumes elfiques du Beleriand sont tombés face à la puissance inexorable de Morgoth, le Seigneur des Ténèbres. Leurs alliés humains n'ont rien pu faire contre les vagues d'Orques et de Trolls qui ont déferlé sur eux. Leur seule perspective est désormais une vie d'esclavage au service des forces du Mal. Il subsiste pourtant une lueur d'espoir au cœur des ténèbres : Gondolin, la légendaire cité cachée des Elfes, se dresse toujours, fière et insoumise, perchée dans des montagnes inexpugnables.

Mais le destin est en marche : Tuor, un simple mortel, a été choisi par Ulmo, le dieu des eaux, pour rappeler à Turgon, le roi de la cité cachée, que Morgoth finira tôt ou tard par découvrir l'emplacement de Gondolin. Et quand il le découvrira, il ne tardera pas à y envoyer ses armées en force. La chute de Gondolin pourrait bien marquer sa victoire finale…

La Chute de Gondolin est le troisième et dernier des « Grands Contes » du Premier Âge. Prenant place après les aventures de Beren et Lúthien et les mésaventures des Enfants de Húrin, il sert de prélude aux événements cataclysmiques qui entraînent la chute de Morgoth, la submersion du Beleriand et le début de la fin de l'ère des Elfes en Terre du Milieu. Chronologiquement, il s'agit du tout premier récit que J.R.R. Tolkien a rédigé prenant place dans l'univers des futurs Hobbit et Seigneur des anneaux, puisqu'il remonte à 1916-1917. Il s'agit de la graine qui donne par la suite naissance aux Contes perdus et ultérieurement au Silmarillion.

Dans ce livre, le dernier avant sa mort en 2020, Christopher Tolkien rassemble différentes versions de l'histoire de la chute de Gondolin rédigées par son père. Il commence par la plus ancienne, celle des années 1910. On y retrouve la même prose fantasque que dans la première version de l'histoire de Beren et Lúthien, écrite sous l'influence de William Morris, mais sur un mode plus épique et guerrier, avec une urgence et une violence qui reflètent peut-être l'horreur de la Première Guerre mondiale (sa rédaction prend place à l'occasion d'une permission accordée à un Tolkien souffrant de la fièvre des tranchées). Ce long texte occupe une bonne moitié du livre.

Après quelques extraits de versions intermédiaires du Silmarillion, la deuxième moitié du livre est occupée par une réécriture du conte original datant de 1951, déjà parue dans Contes et légendes inachevés sous le titre « De Tuor et de sa venue à Gondolin ». C'est l'un des plus beaux textes de Tolkien, qui vient alors de finir la rédaction du Seigneur des anneaux et a atteint sa pleine maturité en tant qu'écrivain. Les personnages y sont campés de manière plus réaliste, les décors sont dépeints avec un soin tout particulier et le voyage de Tuor à travers le Beleriand évoque irrésistiblement les pérégrinations de la Fraternité de l'anneau. Quel dommage, donc, que ce texte soit resté inachevé ! Comme pour mieux nous narguer, il s'interrompt au moment précis où Tuor pose les yeux sur Gondolin après son périple. Christopher Tolkien suggère que cet abandon est lié aux difficultés rencontrées par son père avec les éditeurs potentiels du Seigneur des anneaux. Quelle qu'en soit la raison, la frustration est au rendez-vous.

Le livre s'achève sur des extraits supplémentaires des différentes versions du Silmarillion relatant l'histoire d'Eärendil, le fils de Tuor, et la conclusion du Premier Âge. Dans l'ensemble, il me semble plus accessible que Beren et Lúthien, qui souffrait de l'absence d'une version « tardive » du récit ; ici, la présence d'une version « primitive » et d'une version « tardive » (même inachevée) offre un meilleur équilibre et permet des comparaisons intéressantes. Il faudra tout de même, pour en apprécier la lecture, être prêt à endurer les explications parfois arides de Christopher Tolkien sur les liens entre les différents textes présentés et l'évolution extradiégétique des mythes de la Terre du Milieu.