Ouvertement opposée à Napoléon Bonaparte, Madame de Staël voit son salon parisien se désemplir subitement. Elle est entrée dans le collimateur du premier Consul qui n'a pas l'habitude de tourner autour du pot. Puisqu'elle le gêne et qu'elle le désavoue lors de ses causeries de salon, réputées et fréquentées par du beau monde, elle devra rester à quarante lieues minimum de Paris.
En exil, elle entreprend d'écrire le journal que nous tenons entre les mains et qui a été publié en 1820 par son fils aîné, trois ans après le décès de Germaine de Staël. Le journal est divisé en deux parties. La première revient longuement sur les raisons de son exil et sur sa haine de Napoléon, qui le lui rend bien. Elle le décrie, lui et ses courtisans, dénonce ses méthodes et ses faiblesses.
La deuxième partie ressemble davantage à un carnet de voyage, où on la trouve à Blois, à Coppet en Suisse, dans le château de son père, Jacques Necker. Elle ira aussi en Allemagne, en Autriche, traversera l'Europe pour se rendre en Russie ou encore en Finlande. On pourrait penser qu'elle a tiré parti de son exil pour aller à la rencontre d'autres personnes, d'autres mœurs, car quitte à devoir quitter Paris en étant fortunée, autant en profiter. Mais Germaine de Staël éprouve une peine immense à se séparer de la ville dans laquelle elle est née, dans laquelle elle a grandi, et où se trouvent les cercles intellectuels auxquels elle se sent appartenir.
On comprend son affliction, d'autant que l'acharnement de Napoléon s'étend dans tout l'Empire, et qu'il aimerait l'assigner à résidence pour l'empêcher de se rendre en territoire ennemi où elle pourra s'en prendre à lui sans entrave. Mais on peut comprendre aussi qu'il n'ait pas envie de laisser parler et agir une personne qui a comploté contre lui.
Si à la lecture du récit de Madame de Staël on éprouve de la peine en partageant un sentiment de persécution acharné et injuste, la préface, les notes et documents annexes nuancent largement son propos.
Il apparaît que Madame de Staël semble avoir pris Napoléon en aversion en réaction car lui ne l'a pas prise en affection. Concernant de nombreux évènements, les notes nuancent et corrigent en soulignant que l'écrivaine les raconte à sa façon biaisée et fait des omissions volontaires. L'oie blanche n'est finalement pas si loin du corbeau, puisque c'est ainsi que la surnommait l'Empereur. Toutes ces informations données en paratexte apportent ainsi un éclairage révélateur sur la véracité du récit.
De plus, la personnalité de l'écrivaine ne suscite pas notre attachement. Dans la première partie, elle ne fait que s'en prendre à Napoléon, presque telle une enfant en cour de récréation : "C'est pas moi c'est lui". La littérature en plus, évidemment. Lorsqu'elle raconte son exil, il semblerait que les gens intelligents doués de raison ne se trouvent qu'à Paris. Même les grandes villes de province ne sont pas dignes de ses causeries de salon. Et que dire de son voyage en Europe de l'Est ! Les paysages sont monotones, les Russes (bien que ce soient à eux qu'elle trouve le plus de qualités) des sauvages, les Finlandais des gens austères...
Dix années d'exil se lit très facilement d'un point de vue littéraire car la plume de Germaine de Staël est fluide et vive. Mais au fur et à mesure, l'intérêt s'émousse tant ses complaintes traînent en longueur et tant rien ne peut être pris pour argent comptant. Ses remarques condescendantes ne la rendent pas sympathique. Toutefois, bien que hautement subjectif, il s'agit d'un témoignage direct sur un pan de l'histoire européenne et en tant que tel, il reste un écrit intéressant.