Direction New-York pour Eva, cette journaliste française courant après l'article du siècle pour son magazine, économique et culturel de l'Afrique noire et du Maghreb : Jeune Afrique. Nous sommes en 1989, l'Amérique essaie de se sortir de cette image ségrégationniste. Pourtant, les émeutes éclatent encore dans les rues perpendiculaires de la Grosse Pomme. Eva a décroché une interview avec la grande Toni Morrison, auteur de Beloved, Home et L'oeil le plus bleu. Il faut absolument décrocher l'avis de grands écrivains au sujet des émeutes raciales qui sévissent encore et qui perturbent la ville.
Eva est aussi l'envoyée de la France pour être aux côtés de son oncle de Brooklyn, veuf seulement depuis quelques jours, son épouse ayant perdu la vie dans un accident domestique, jour de Shabbat. Marco est le frère de la maman d'Eva. Cette dernière vit à Paris, et a élevé sa fille seule.
New-York, née sur la terre de la liberté, semble enlisée dans ses tensions raciales, dans ses us et coutumes religieux et sa vie culturelle tellement étoffée, débordante d'énergie et de contrastes. Eva, partagée entre une famille qu'elle découvre bien ancrée dans la communauté juive respectant les traditions à la lettre, tombe amoureuse de cette ville flamboyante. Elle y rencontre Barry, un écrivain qui se cherche, au charme dévastateur et qui va lui faire explorer New York version romance endiablée en lui apprenant les différents points de vue de la ville tantôt religieux, tantôt culturels, tantôt politiques. C'est l'amour fou, et son auteur préféré du moment va insérer Eva dans ce milieu artistique haut de gamme.
Ce livre de Paula Jacques est décapant à l'image de New York. Il nous sort de nos lectures parfois mièvres, romancées à souhait. Les personnages de cette histoire sont remarquables : de la maman juive couvant sa fille par téléphone, du réceptionniste d'hôtel nommé Small Paul à la bienveillance hors norme, à ces nouveaux riches américains, puritains et conservateurs, et à ceux qui sont pour un grand coup de pied dans la fourmilière pour faire accepter leur couleur et leurs idées politiques.
J'ai aimé l'atmosphère, les échanges familiaux, la découverte de la ville, l'amour fou de ce couple adultère. Je me suis posé la question : pourquoi cet oncle ? Car la majorité de l'histoire tourne autour d'Eva. C'est certainement le prétexte, le lien familial. Mais grâce à cet oncle Marco et à cette famille juive, l'auteur Paula Jacques nous montre les limites de la dévotion religieuse dans cette nouvelle société américaine, les routes et destins bien tracés pour chacun des membres du clan. Ne pas déroger à la règle, ne pas décevoir. Jusqu'où et quand ?
Autre point intéressant de ce livre : la rencontre avec les plus grands et notamment Toni Morrison. Je n'ai pas encore lu Beloved, mais il trône dans ma bibliothèque. J'avais lu un jour qu'il faisait partie des livres à lire dans une vie. A vrai dire, la violence de ce livre me fait peur mais m'attire. A l'image de cette société américaine des années quatre-vingts, quatre-vingt dix. Le côté underground jazzy de la communauté noire est envoutant. D'incroyables rencontres avec Aretha Franklin, célèbre chanteuse et pianiste, Spike Lee, scénariste, ou Maya Angelou, romancière, poète, dramaturge, actrice et professeure d'université mais avant tout militante afro-américaine. Ils se soulèvent aussi après Martin Luther King. Barack Obama est arrivé au pouvoir depuis, pour être détrôné à nouveau par cette force conservatrice entraînant une nouvelle vague de révolte.
Via Eva, nous avons pu apprendre cette face de New York qui se révolte, qui cherche ses racines, qui bouscule les idées. Noirs, juifs, puritains, révoltés, tous souhaitent trouver leur compte dans cet eldorado si prometteur. Les années ont parlé. Toni Morrison, dans une interview pour France 24 en 2012, a reconnu la progression de la société. Mais le chemin reste long. Le capitalisme brut prédateur peut être dangereux selon elle, l'Amérique est tendue et plus terrifiante que jamais. On en sait encore quelque chose aujourd'hui.
Le fil conducteur amoureux, le beau mec américain, allège le sujet sociétal du livre, mais au fond, cette histoire d'amour que connaît Eva avec le beau Barry, n'est elle pas l'appât américain ? Eva s'offre une belle parenthèse avec beaucoup de promesses : the American Dream, qui peut tourner vite à la déception.