Les Chroniques de l'Imaginaire

On a tout l'automne - Léveillé-Trudel, Juliana

De retour dans le petit village de Salluit, situé au nord du Québec, une jeune femme retrouve pour trois mois les gens qu'elle avait laissés lorsqu'elle était venue animer un camp d'été. Cette fois, elle revient en tant qu'élève, pour approfondir son apprentissage de l'inuttitut, la langue autochtone de ces contrées. Son projet est de monter un atelier de poésie aux côtés de l'enseignante Mary, afin de recueillir des poèmes écrits en inuttitut par les élèves, qu'elle traduira dans le but d'aboutir à un livre bilingue.

Deux ans ont passé depuis la dernière fois qu'elle est venue. Elle reconnaît les visages d'adolescents qui ont grandi. Il y a Maggie, la bêcheuse, Sarah, qui a eu un bébé, Louisa... La narratrice se sent à la fois proche de ce monde loin de Montréal et tenue à distance, car les habitants ont beau l'identifier et l'accepter, il demeure une barrière invisible qui sépare les autochtones des étrangers. Même quand ils s'intéressent à la culture inuit au point de parvenir à dialoguer dans la langue locale. Seules, Mary et Emalla lui permettent d'entrer pleinement dans leur cercle restreint.

Retenue par le fil de la ligne téléphonique à son amoureux Gabriel, avec qui la relation balbutiante trouve ses marques peu à peu, la jeune femme semble être spectatrice de ce peuple qu'elle aime. S'en aperçoit-elle seulement ? Son désir d'apprendre, de transmettre et d'embrasser la culture inuit la rend imperméable aux peines que pourraient susciter la sensation de ne pas réussir à s'intégrer davantage. Tout juste sent-on un pincement au cœur lorsqu'elle croise ces filles, ou Nathan, voire Tom, celui avec qui les choses auraient pu prendre un autre virage.

C'est cet amour pour la langue qui la pousse à toujours apprendre davantage, se surpasser, se confronter aux difficultés de la compréhension et plus ardu encore, à celles de la traduction. Le texte est truffé de termes et de phrases en inuttitut, traduites dans la foulée. C'est aussi beau qu'incompréhensible. Pourtant, à force de semer les idiomes, Juliana Léveillé-Trudel parvient à nous faire intégrer certains mots que nous reconnaissons au détour d'une phrase. Elle nous explique les multiples termes définissant la neige, qui n'est pas nommée de la même façon si elle tombe, si elle est au sol, si elle est propre pour la faire fondre et la boire. Elle nous familiarise avec la poésie intrinsèque de la langue inuttitut, dans laquelle le mois de novembre natjuijarvik signifie "quand les caribous perdent leurs bois", l'hôpital aanniavik "endroit où souffrir longtemps". Les poèmes parsemés offrent des strophes dont on devine la sonorité et qu'on aimerait pouvoir écouter, d'autant plus lorsque leur sens est révélé. A ce titre, l'autrice s'est fait aider de Marc-Antoine Mahieu, traducteur connu des lecteurs friands de littérature du Nunavik.

Si on peut regretter un récit qui peine à nous faire entrer pleinement dans l'intimité des Inuits et ne nous permet pas de mieux connaître leur culture, on peut néanmoins savourer la remarquable initiation à la langue qui nous est offerte et profiter de la sensation de cocon cotonneux qui nous enveloppe à la lecture de ce récit, qu'on comprend inspiré de l'expérience de l'autrice.