Les Chroniques de l'Imaginaire

Destination Robert Silverberg (Galaxies SF - 89)

Pour son quatre-vingt-neuvième numéro, la revue Galaxies SF a choisi de rendre hommage à l'un des derniers titans de la science-fiction américaine en la personne de Robert Silverberg. Même s'il vient de fêter son quatre-vingt-dixième anniversaire, le créateur des Monades urbaines et du cycle de Majipoor affiche toujours bon pied bon œil : pourvu que ça dure !

Le dossier qui lui est consacré n'offre pas de présentation générale de son œuvre, ce qui est compréhensible au vu de la notoriété prodigieuse de l'homme. Les trois articles, tous écrits par Meddy Ligner, en développent plutôt des aspects spécifiques. Le premier décrit son attachement à la France, où il séjourne régulièrement et où ses romans ont été traduits par des sommités du métier telles que Pierre-Paul Durastanti, Hélène Collon ou Jacques Chambon. Le second s'intéresse à son rapport à l'Histoire avec un grand H, une discipline qui le fascine et qu'il a souvent abordé dans ses écrits sous le prisme de l'uchronie (comme dans Roma Æterna) ou du voyage dans le temps (comme dans Les déportés du Cambrien). Enfin, Meddy Ligner procède à un rapide inventaire des rares adaptations de son œuvre à l'écran et en bande dessinée, mais aussi au théâtre.

Trois nouvelles complètent ce dossier, dont une inédite en français de Silverberg, Le dernier vétéran de la guerre de San Francisco. On y croise la figure pittoresque de James Crawford, dernier survivant d'un conflit dont plus grand-monde ne se souvient dans la Californie de l'empereur Norton XIV. Sous sa surface malicieuse, on trouvera ici une jolie réflexion sur la mémoire, la perte et l'oubli. Les deux autres nouvelles, La promesse du désert de Johan Héliot et La huitième nef de Meddy Ligner, prennent place dans l'univers de Majipoor, un cycle que je n'ai jamais lu : je pense donc être passé à côté de ce qui peut en faire tout le sel, même si leur lecture n'a pas du tout été une corvée.

La partie « Nouvelles » de ce numéro rassemble pas moins de dix textes. On commence avec Deus in machina de Tristan Cordeil, 3e prix ex æquo du prix Alain le Bussy 2024. C'est une histoire au ton sérieux mais pleine de malice dont l'héroïne, seule à bord d'un vaisseau spatial long-courrier, se retrouve chargée d'une livraison aux implications cosmiques. On reste dans l'espace, plus glacial que jamais, dans Ceux que nous laissons derrière nous de Vaughan Stanger, où l'on suit des cosmonautes soviétiques en route vers la Lune dans une histoire qui n'est pas tout à fait la nôtre. Autre nouvelle récompensée par le jury du prix Le Bussy avec un premier accessit, Un aller sans retour de Florine Martinet mêle avec adresse des thèmes bien d'actualité en imaginant une intelligence artificielle chargée d'euthanasier les clients d'une entreprise en pleine croissance. Gulzar Joby nous emmène ensuite dans un futur où Le ciel vint à manquer ; celui-ci n'est plus qu'un immense écran de télévision où s'entremêlent publicités crasses (pléonasme ?) et messages pseudo-divins. C'est tour à tour touchant, désespérant et révoltant. Enfin, les Nouvelles d'Ukraine mettent à l'honneur Ihor Antoniuk, qui propose dans Éphémère d'imaginer les conséquences d'un appareil permettant de contrôler l'écoulement du temps.

Les cinq nouvelles suivantes sont exclusives à la version numérique du magazine. Laurent Crevon nous offre un départ sur les chapeaux de roues avec Mission diplomatique, une uchronie rigolote pleine de nostalgie pour les années 1970, le formica, le Minitel et Valéry Giscard d'Estaing. Le giscardpunk deviendra-t-il le nouveau genre à la mode des littératures de l'imaginaire ? On ne peut que l'espérer. On retourne à des choses un peu plus sérieuses avec Escapade, de Florentin Certaldi, avec une intelligence artificielle tellement puissante qu'elle ne s'efforce même pas d'arrêter les rares technophobes qui cherchent à échapper à son emprise. La Baignoire de Louise Sbretana dépeint un instant de tendresse entre deux navigateurs stellaires du troisième âge. C'est très court et très doux, une belle surprise. L'infatigable Caza s'essaie au conte de fées dans La vie stochastique de la princesse Élyse, qui mélange l'histoire de Raiponce et les mystères de l'aléatoire avec sa dose de grivoiserie habituelle. Pour finir, Mort et vie de Thomas Prélot nous rappelle que l'espoir existe toujours, même quand tout semble perdu et que les choses semblent ne jamais pouvoir s'arranger.

Viennent enfin les rubriques récurrentes, avec critiques des dernières sorties dans les sphères littéraires, bédéesques, télévisuelles et cinématographiques. Jean-Michel Calvez continue à tisser des liens entre Musique et SF en revenant sur la carrière d'Isao Tomita, pionnier de la musique électronique au Japon. La Croisière au long du fleuve de Didier Reboussin fait escale chez Dominique Arly (1915-2009), auteur d'une vingtaines de romans entre fantastique et horreur pour Fleuve Noir.