Les Chroniques de l'Imaginaire

La mémoire délavée - Appanah, Nathacha

Nathacha Appanah éprouve à un moment de sa vie le besoin de penser à ses aïeux et de parler d'eux. Comme ses trisaïeuls, les premiers arrivés sur l'île Maurice après un long périple en mer qui les a embarqués depuis l'Inde. Ils étaient trois, le couple et leur fils de onze ans, destinés à grossir les rangs de la main-d’œuvre en terres colonisées. Comme tous les immigrés, ils ont été rassemblés dans des micro villages, où ils vivaient dans des abris de fortune qu'ils ont consolidés au fil des ans. L'histoire de la famille de l'autrice avait commencé avant mais c'est lors de l'arrivée sur l'île qu'elle prend corps, qu'elle est tangible et documentée, en filigrane, par des documents administratifs puis avec les souvenirs des descendants. 

L'histoire de ses grands-parents lui est davantage connue même si, comme dans toutes les familles d'immigrés, on a du mal à transmettre ses bagages. Une pudeur universelle semble jeter des zones d'ombres chez cette génération qui avait, sans doute à raison, peur de ne pas s'intégrer sans se défaire de son histoire. Nathacha connaît donc le tour stupéfiant qu'a pris la journée du mariage arrangé de ses grands-parents. Elle sait qu'il y a eu des enfants morts et qu'il leur a fallu tout quitter lorsque son grand-père a perdu son sang froid.

Elle sait des choses mais elle en ignore bien plus. Une somme d'informations et de souvenirs lui échapperont à jamais. Le récit se calque sur ce qu'elle a dans la tête. Les images se mélangent aux souvenirs et aux documents d'archives. Ses pensées suivent des méandres et dansent comme le font les étourneaux, image qu'elle convoque dès le début du livre et qui est parfaitement trouvée. Le vol de ces étourneaux est gracieux, pur, léger, délicat et aérien. C'est exactement ainsi qu'on pourrait décrire l'écriture employée par Nathacha. Si vous connaissez sa voix, vous ne pourrez pas vous empêcher de l'entendre en la lisant, tant ce texte lui ressemble.

A travers ce roman, l'autrice redonne vie à des personnes qui étaient vouées à tomber dans l'oubli. Elle exprime un amour teinté de nostalgie et de regrets pour ceux qu'elles ne connaissaient que sous quelques facettes sans avoir réussi à les saisir dans leur entièreté. C'est une ode à la mémoire, à l'importance de la langue parlée, celle de ses ancêtres, et à la transmission.

C'est un très joli roman, tendre et doux, que Folio a eu la bonne idée de proposer avec des pages en papier glacé qui mettent en valeur les illustrations et photos choisies par Nathacha Appanah.