Les Chroniques de l'Imaginaire

Panorama - Hassaine, Lilia

Lorsqu'en 2029 un influenceur fustige le principe de prescription qui l'empêche de demander justice, une vague de soulèvement et d'anarchie bouleverse le pays. La France bascule dans la Transparence à tout prix. Les murs et cloisons sont remplacés par des vitres, les informations de tout un chacun sont détaillées en ligne. Plus de secret, plus de lieu abrité des regards. C'est la solution trouvée pour mettre fin à la violence. Sans espace clos, les pédophiles et violeurs ne pourront plus abuser de personne. Il n'y aura plus de violence conjugale, plus de cambriolages, plus de crime. Dans ces quartiers où tout le monde peut voir ce que fait son voisin, tout le monde se tient à carreau.

En 2049, Hélène est policière. Ou plutôt gardienne de protection, la police a changé de nom comme d'activités. La criminalité ayant drastiquement chuté, les gardiens se contentent de faire des rondes de routine. Jusqu'au 17 novembre, lorsqu'on signale la disparition d'un couple et de son fils dans le quartier huppé. Cette famille a disparu du jour au lendemain sans que personne ne se soit aperçu de quoi que ce soit. Même Olga, la sœur de la mère, ne comprend pas ce qui a pu se passer. Hélène et Nico, son collègue, ami et voisin, sont chargés de l'enquête.

L'intrigue à suspense est le fil conducteur de ce roman qui permet à Lilia Hassaine de développer un futur effrayant. Et ce qui est le plus effrayant, c'est qu'il ne semble pas absurde. L'autrice s'appuie sur des réalités existantes pour imaginer ce que cela deviendrait si on n'y mettait pas un terme avant que les choses ne deviennent dangereuses et liberticides. Ce souci de transparence par exemple, qui est au cœur du roman, et que les individus gangrènent d'eux-mêmes. A tout montrer sur les réseaux, sa maison, ses vacances, ses enfants, son mariage... Les gens s'habituent à ne plus avoir de vie intime ni privée.

Lilia Hassaine émaille son récit de nombreuses réflexions très pertinentes, avec une lucidité épatante pour une jeune femme de trente-quatre ans. Par le biais de la fiction proche de la dystopie, elle évoque une société de réseaux où chacun joue à être l'avatar de soi-même, où le vivre-ensemble tourne au vivre-ensemble-entre-soi, où la presse est remplacée par l'opinion, où les algorithmes confortent chacun dans leurs idées au lieu de bousculer leurs certitudes.

Si l'intrigue perd un peu de son souffle vers le dénouement, les méninges cogitent ardemment pendant la lecture et ne trouvent pas le repos ensuite. Ce que Lilia Hassaine dit dans ce roman, qui est une véritable œuvre de fiction intelligente et absolument pas un essai, donne à réfléchir. Les maisons de verre regroupées en quartiers incarnent les bulles de réseaux qui semblent nous rapprocher. Mais à la lecture du roman, on se rend compte que c'est le contraire. Elles antagonisent et poussent à jouer un rôle, loin de l'authenticité des relations qui se nouent dans les sphères intimes.

Un excellent roman, brillant, qui donne envie de retrouver les passages marquants qu'on n'aura pas manqué d'annoter.