Les Chroniques de l'Imaginaire

Carcoma - Garrido, Andrès

Le Carcoma est destiné à errer sur la mer. Son capitaine a recruté son équipage parmi les âmes perdues sur terre. Les meurtriers, les voleurs, les ivrognes, ceux et celles qui n'avaient plus grand chose à perdre et qui étaient prêts à prêter serment, un serment régulièrement répété sur le pont, face à l'immensité de l'eau. Il leur est interdit de s'arrêter dans un port ou de débarquer sur une île déserte. Le navire est le seul sol que leurs pieds toucheront désormais.

Mais un sentiment de regret commence à se répandre parmi les recrues. Un mort de plus, faute de médecin et de médicaments. Pas de denrées dignes de ce nom, à se contenter des bateaux abordés et pillés qui souvent n'ont pas grand chose à offrir. Des poissons à moitié pourris pêchés dans des eaux putrides.

Dans cette équipage, il y a Sépia, qui ne quitte jamais sa flasque et oublie ses malheurs dans l'alcool. Aux côtés des autres anti-héros de cette histoire, elle sera le personnage phare qui amorcera un changement. Car c'est elle qui recueillera une étrange créature dans la mer. Une sirène toute petite qu'elle nourrira, qui grandira et avec qui elle nouera un lien puissant. Cette entité surnaturelle prendra l'équipage sous sa protection et parviendra, peut-être, à les libérer du joug du capitaine.

Un capitaine aux idées sombres et mystérieuses, qui cache dans sa cabine une histoire personnelle dramatique. Et qu'il faudra affronter tôt ou tard.

Le début de la bande dessinée donne le ton d'emblée. Les planches font voir la mer, tumultueuse, et Sépia est réveillée par des cris de détresse. L'atmosphère est inquiétante, mystérieuse. Cela ira crescendo à mesure que le scénario progresse et se développe. L'histoire est intrigante et ces premières pages sont très réussies. Andrès Garrido parvient à glisser subtilement les explications sur les raisons de cet isolement et à nous familiariser avec les personnages de l'équipage, qui sont tous aussi différents qu'attachants, chacun à sa manière. Là où les choses se corsent, c'est lorsque le surnaturel apparaît. Les éléments fantastiques ne sont pas évidents à comprendre et plus l'histoire avance, moins les enchaînements de situation sont lisibles.

L'auteur explique que la naissance de cet album est lié à la pandémie de 2020, lorsqu'il est parti en vacances au bord de la mer après le confinement. C'est là qu'il a imaginé une histoire de pirates errants qui trouvent et élèvent une sirène. Puis il a compris qu'elle traduisait ses propres inquiétudes et interrogations liées au COVID. Même avec cet élément d'explication, j'ai eu beaucoup de mal à comprendre les motivations et la nature du capitaine. Il semble qu'il faille y voir une symbolique qui m'a échappée, et je regrette le dénouement libre à interprétation.

Si le dernier tiers est en-deçà de mes attentes, je salue le travail du dessinateur qui a su produire de très belles planches tout en gardant une atmosphère lugubre. Le navire est très bien dessiné, on s'y croirait, et les personnages sont expressifs. Le traitement privilégié de Sépia est particulièrement efficace, elle est le point fort de cet album et figure à juste titre sur la couverture.

Au final, c'est une belle réussite graphique, qui offre une panoplie de personnages intéressants au service d'un scénario mystérieux et dynamique. Dommage que le dénouement confus vienne ternir mes premières impressions enthousiastes.