Les Chroniques de l'Imaginaire

Himilce - Chastellière, Emmanuel

Himilce a demandé de façon répétée à son mari, Hannibal Barca, de l'emmener avec lui pour la guerre contre Rome qu'il projette. Il a toutefois décidé de l'envoyer en sécurité, à Carthage, sous la garde du guerrier Aspar, qui lui a sauvé la vie lors du siège de Sagonte, et auquel il a confié son propre glaive pour marquer sa faveur. Pendant le voyage, Himilce fait de son mieux pour maîtriser la langue de sa belle-famille, mais elle est encore débutante à son arrivée, et la mère d'Hannibal, Batshillem, la cloître quasiment pendant un mois afin de l'instruire sur l'histoire et la culture de sa nouvealle patrie : hors de question qu'elle embarrasse par un impair la puissante famille Barca !

Mais la jeune femme s'intéresse à cette orpheline qui lui a dérobé le pendentif d'ambre bleu qu'elle tenait de son père. En la cherchant, elle rencontre la veuve Saphat, son fils Léoram, et les autres orphelins qui vivent comme ils peuvent sans que personne ne s'occupe vraiment d'eux. Ses efforts pour les aider restent limités par son propre manque de poids, et le fait qu'elle est la seule à s'y intéresser vraiment : à part Batshillem, pour qui seuls ses fils et leur guerre sont importants, les personnages puissants sont tous des hommes et seul le pouvoir les motive.

De plus, la ville est de plus en plus dangereuse, car des enlèvements d'enfants et d'adolescents s'y produisent. Même avec l'aide de la cousine d'Hannibal, Sophonibaal, et son amie, la prêtresse Sabratha, Himilce court des risques à s'y rendre. Et les espions, humains ou non, de Batshillem, sont partout.

Ce roman est touffu avec un grand nombre de personnages et de décors différents. La seule constante est Himilce, que l'on suit de son enfance à son départ de Carthage, à l'âge adulte. De ce point de vue, on peut le considérer comme un roman d'apprentissage, fort bien réussi d'ailleurs. A quelques manifestations surnaturelles près, qui peuvent paraître plus artificielles qu'autre chose, on peut le lire comme un roman historique, même si l'on sait assez peu de choses sur la vie quotidienne à Carthage et dans ses colonies et zones d'influence.

Ce n'en est pas moins passionnant à lire, avec la réflexion sous-jacente sur le poids de la guerre que supportent différentes couches de la société carthaginoise. Ceux qui en sont quasiment exclus, à commencer par les mercenaires, supportent le plus gros de la charge, avec des réactions prévisibles quand ils s'en rendent compte et essaient d'y faire quelque chose. Parmi les exclus figurent aussi les plus basses couches de la société, et c'est d'autant plus injuste qu'ils sont créés par la guerre même, étant les veuves et les enfants orphelins des soldats, vainqueurs ou vaincus, d'Hannibal. L'auteur n'a garde d'oublier les animaux parmi ses victimes, et c'est une originalité bienvenue.

Les personnages féminins sont variés, notamment en ce qu'ils appartiennent aux différentes classes sociales, de la quasi-reine qu'est Batshillem à la quasi-aveugle Iasidba en passant par la "sorcière" Sabratha et la rebelle mais impuissante Sophonibaal. On pourrait toutes les voir comme des doubles possibles d'Himilce, et ce n'est pas un hasard si elle les laisse l'une après l'autre derrière elle, alors même que chacune lui apprend quelque chose d'elle-même et de ce qu'elle attend de sa vie. Le personnage central qu'est Aspar est, lui, un contrepoids, par sa présence, à l'absent Hannibal, et, par son incapacité à prendre les armes, à cette statue de Conquérant que Hannibal a été forcé de devenir.

L'action met beaucoup de temps à démarrer, et ne le fait guère qu'après l'arrivée d'Himilce à Carthage et le début des enlèvements d'enfants. Ensuite, le lecteur ou la lectrice prend le rythme, a pu découvrir les différents personnages et leurs motivations, et le roman devient tout à fait passionnant, jusqu'à une fin inattendue et très maîtrisée.

En somme, une fort bonne histoire, qui se lit autant comme un roman d'évasion dans un décor encore peu exploité que comme une réflexion sur ce que peut susciter la guerre comme moteur d'une société entière.