Les Chroniques de l'Imaginaire

Chef-d'œuvre - Tallón, Juan

À Madrid en 1986, le centre d'Art de la Reine Sofia est inauguré. Ce nouveau musée qui prendra plus tard le nom de Musée National d'Art Moderne et Contemporain doit symboliser la modernité culturelle de l'Espagne après des décennies de dictature conservatrice. Pour cela, le musée a besoin d'œuvres radicales, marquantes, pouvant faire parler de lui dans le monde entier. Le sculpteur Richard Serra a été choisi pour incarner cette évolution culturelle, de par son audace, ses œuvres gigantesques et sa capacité à faire polémique autour de ses sculptures.

L'artiste a choisi une sculpture faite de quatre gigantesques bloc d'acier faisant un parallèle entre le bombardement d'une ville libyenne en 1986 par les Américains et celui de Guernica par les Allemands qui a inspiré Picasso pour son mythique tableau exposé aussi dans ce musée.

Quatre ans plus tard, l'œuvre est retirée de l’exposition et mise en dépôt chez une société spécialisée dans la garde d'œuvres d'art. Peu à peu oubliée, ce n'est qu'en 2005 que les responsables du musée sont informés de sa disparition après un inventaire. Tout le monde s'interroge et veut savoir comment cette sculpture de trente-huit tonnes a pu disparaître ainsi sans laisser de trace ?

Marqué par cette affaire, Juan Tallón va se pencher sur cette disparition et s'en emparer dans ce roman où il tente d'élucider ce mystère.

Ce n'est pas dans une enquête banale que l'auteur nous entraîne mais dans de multiples récits délivrés par des personnages fictifs ou réels ayant été mêlés de près ou de loin à cette œuvre. Chacun donne son point de vue, son avis et ses explications sur les causes de la disparition et sur les responsables. Par ce biais, Juan Tallon pointe les responsabilités qui ont conduit à ce qu'une sculpture monumentale disparaisse sans laisser de trace et sans que personne ne s'en inquiète pendant quinze ans.

Juan Tallón donne aussi voix à Richard Serra, nous permettant ainsi de comprendre sa force créatrice, ses inspirations, et de comprendre un peu mieux ses sculptures monumentales qui étaient pour moi un peu absconses.

Cette multitude de témoignages rend le récit original mais perd de son intérêt au fil de la lecture. Là où j'attendais un éclaircissement, je me retrouve encore plus dans le brouillard avec d'incessants allers-retours entre les époques et encore plus de questions qu'au départ.

Toutefois, ce roman permet d'approcher le monde de l'art moderne et apporte un éclairage sur la création d'expositions, les commandes d'œuvres, et les enjeux pour les musées de se montrer et faire parler d'eux. On peut ainsi suivre le chemin d'une œuvre de sa commande à sa création, du choix de l'emplacement lors de l'exposition à sa conservation dans les réserves ou ailleurs.

Le récit est parfois drôle, parfois atterrant quant à la gestion de ce musée et à l'utilisation de l'argent public. Juan Tallón aborde un sujet sérieux avec humour, multipliant les réflexions sur le monde de l'art, et nous invite aussi à nous questionner sur la perception que nous avons de ces œuvres dérangeantes. La forme de ce roman donnant la parole aux éventuels responsables de cette disparition, aux enquêteurs et à des personnages en apparence insignifiants, offre de multiples possibilités quant à trouver le(s) vrai(s) coupable(s).