Les Chroniques de l'Imaginaire

C'est peut-être votre vie que vous sauvez - O'Connor, Flannery

« Prudence, c’est peut-être votre vie que vous sauvez », ce panneau qui augure de mauvais présages et veille à mettre nos sens aux aguets annonce d’emblée des histoires âpres et tourmentées, portées par une plume incroyable. Celle de Flannery O’Connor que je découvre sur le tard à travers ces nouvelles extraites du recueil Les braves gens ne courent pas les rues alors qu’elle est une des autrices essentielles de la littérature américaine du XXème siècle.

On pourrait croire qu’il est difficile de se laisser embarquer dans de si courtes histoires, environ trente pages en moyenne pour chacune des trois qui composent cette édition, et pourtant avec un style d’écriture mêlant humour espiègle, tournure sarcastique et chute brutale, on s’approche au plus près de l’hégémonie du moment vécu et raconté. 

On découvre des personnages au premier abord certes un peu ennuyeux, à se demander ce qu’on est venu faire là-dedans, mais sans le réaliser, on apprend en peu de temps à les connaître, les détester ou déjà les regretter. Et c’est assez déstabilisant de voir que ce cas de figure se répète pour chacune des histoires, alors que les sujets abordés sont très différents.

Dans C’est peut-être votre vie que vous sauvez, on part en courte vadrouille avec un chemineau estropié qui débarque dans une vieille ferme, offre son temps pour de menus travaux contre le gite et le couvert avant de se retrouver à marier la fille sourde et muette de la propriétaire.

Une deuxième histoire, Un cercle dans le feu, offre une vision cruelle et mesquine des comportements humains, que leurs protagonistes soient riches ou démunis, jeunes ou matures, innocents ou coupables. Je crois que c’est la nouvelle qui m’a le plus désarmée et dérangée tant elle semble pouvoir faire encore écho aujourd’hui.

La dernière, Tardive rencontre avec l’ennemi, met en scène un vieux général de l’armée qui perd complètement la tête et fantasme sa carrière pour revivre à chaque occasion son heure de gloire pendant que sa petite-fille tente à ses côtés de retarder l’inévitable… Moins efficace ou perspicace, c’est celle que j’ai le moins savourée.

À dire vrai, j’avais peur que les histoires soient datées avec des rapports de force propres à l’ancien temps où les femmes sont dociles, les enfances malheureuses et le racisme omniprésent. Pourtant, même si on ne peut le démentir en se retrouvant flanqués au beau milieu de scènes de vie typiques de l’Amérique profonde, on se sait également finement menés en bateau par l’autrice qui maitrise parfaitement sa vision des hommes et de son époque.

Je ressors sonnée mais épatée par les retournements de situations et de jugements dont O’Connor est capable à travers des mises en scènes grinçantes, sombres et malaisantes mais diaboliquement réalistes. Tout ça, en peu de lignes et surtout, c’est important de le souligner, magistralement traduit pour permettre de conserver le ton, les sous-entendus et l’argot qui révèlent toute la bêtise et l’intolérance dont l’humain semble être à jamais capable.