Les Chroniques de l'Imaginaire

Changement de plans - Le Guin, Ursula K.

Fix-up ? Recueil de nouvelles ? Pas un roman, ça c'est sûr, mais le fait est que les nouvelles regroupées dans ce livre le sont avec une thématique bien précise, et un point de départ identique : imaginez-vous dans cet état particulier de fatigue, de stress et d'ennui propre aux heures que vous êtes susceptible de passer dans un aéroport entre deux vols. C'est lors de l'une de ces occasions que Sita Dulip (La méthode de Sita Dulip) s'est tout à coup trouvée projetée... ailleurs, sur un autre Plan. Son expérience a été reproduite avec tant de succès qu'une Agence Interplanaire a été créée, avec des bureaux sur chacun des autres plans explorés.

Partant de là, chaque nouvelle décrira l'un des Plans visités par la narratrice, ou dont elle aura entendu parler. Cette formule met en évidence tant l'imagination fertile de Le Guin que son humour discret ou ses solides connaissances en anthropologie. En effet, chaque société est différente. Ainsi, on va s'intéresser, dans Le silence des Asonus, à des êtres sentients, dont les enfants parlent, avant de quasiment s'arrêter de le faire à l'âge adulte, ce qui porte leurs visiteurs à s'interroger sur les raisons de leur mutisme, entre autres. Dans L'hospitalité des Hennebètes, l'autrice montre combien à tort on peut s'imaginer que ceux qui nous ressemblent sont exactement comme nous. Dans Les saisons des Ansarac, Le Guin décrit toute une société qui change totalement de comportement de façon saisonnière, en suivant notamment leurs désirs amoureux, comment ils ont accepté pour un temps de se métamorphoser selon les idéaux de leurs visiteurs humains, avant de revenir à leurs traditions. Enfin, c'est sans doute dans Joies sans fin que la charge de l'écrivaine contre les excès du capitalisme, et contre toute exploitation d'êtres vivants, est la plus évidente, puisqu'elle y imagine un plan que certains visiteurs riches se seraient réservés, du seul droit des premiers découvreurs.

Je n'ai cité que les nouvelles que j'ai le plus aimées, sans y inclure Les voltigeurs de Gy, chroniquée ailleurs, mais tous les textes sont de grande qualité, et l'ensemble est un kaléidoscope éblouissant. La préface de Karen Joy Fowler est à la fois une introduction appropriée et sensible des textes, et un bel hommage général à la créatrice de Terremer, entre autres textes marquants.

C'était aussi une excellente idée de la part de l'éditeur d'inclure dans cette fort belle édition, à la couverture signée du talentueux Aurélien Police, les illustrations intérieures d'origine, signées Eric Beddows. Enfin, il est toujours agréable et touchant de lire une interview de Le Guin, en l'occurrence celle parue dans The Paris review en 2013.

En somme, cet ouvrage fait partie de ceux que tout fan de l'écrivaine se doit d'avoir dans sa bibliothèque, certes, mais il est susceptible d'attirer des lecteurs et lectrices qui ne la connaîtraient pas encore, tant il est caractéristique tant de son style que de ses domaines de prédilection et de préoccupation.