Nous sommes en 2059 et Jud Elliott s'ennuie. Grâce à sa famille, il a une carrière toute tracée dans l'administration juridique, mais ça ne l'intéresse vraiment pas. Ses deux grandes passions dans la vie, c'est le sexe et l'histoire byzantine. Une rencontre de hasard lui offre l'opportunité de les assouvir : pourquoi ne pas devenir guide temporel ? La dernière mode, en ce milieu de vingt-et-unième siècle, c'est d'aller jouer au touriste dans le passé pour assister en direct aux croisades, à la crucifixion de Jésus, à l'assassinat de JFK ou à n'importe quel autre événement historique. Une véritable industrie s'est développée et le Service Temporel est toujours à la recherche d'employés compétents et motivés. Jud remplit parfaitement les conditions requises et le voilà embauché. Pour lui, c'est le rêve : il a enfin l'occasion de découvrir Constantinople telle qu'elle était au Moyen Âge, dans toute sa pompe et sa gloire. Bien sûr, il s'agit d'être prudent. Il ne faudrait pas qu'un des touristes qu'il encadre vienne à causer un incident qui mette en péril la stabilité de la ligne temporelle… ou pire encore, qu'il tombe amoureux de sa propre arrière-arrière-arrière-…-grand-mère.
Quel étrange roman que ces Temps parallèles ! Comme son protagoniste, il est partagé entre deux grands thèmes. D'un côté, on a l'Histoire avec un grand H. C'est une discipline dont Robert Silverberg est féru et cela se sent : il prend clairement un grand plaisir à faire évoluer ses personnages dans le passé. En lisant ce livre, vous aurez droit aux côtés de Jud à un véritable cours sur l'histoire de l'Empire byzantin, de sa fondation à sa chute : Justinien et Théodora, la quatrième croisade, la prise de la ville par les Ottomans, tout y est. Le récit nous emmène ponctuellement dans d'autres époques, mais c'est clairement la période byzantine, amoureusement dépeinte, qui constitue le cœur du livre.
Enfin, peut-être que le vrai cœur du livre, en fait, c'est le sexe. Il ne se passe pas deux pages sans que le héros couche avec une femme, ou bien ait envie de coucher avec une femme, ou bien pense à coucher avec une femme, ou bien discute avec un autre homme d'une femme avec qui il a couché. Le vingt-et-unième siècle tel que l'imagine Silverberg ressemble aux rêves les plus fous des hippies californiens, avec amour libre à gogo, femmes toujours partantes pour une partie de jambes en l'air et disparition presque complète de tous les tabous. La pédophilie même n'apparaît plus comme problématique, à en juger par le comportement de certains des touristes qu'accompagne Jud. C'est clairement l'aspect du livre qui a le plus mal vieilli et qui lui ferait presque mériter un autocollant « Avertissement parental » sur la couverture.
C'est vraiment dommage, parce que l'intrigue est franchement prenante. Silverberg prend un malin plaisir à nouer des paradoxes temporels dont ses personnages ne se défont qu'à grand-peine. L'humour est au rendez-vous, et il s'amuse aussi beaucoup à tourner en dérision la Patrouille du temps, une série de nouvelles de Poul Anderson qui offrait une vision nettement plus sage du voyage dans le temps. N'empêche, si vous aimez ce thème, je pense que vous trouverez davantage votre compte en lisant les aventures de Manse Everard que celles de Jud Elliott. Les deux accusent leur âge, mais au moins, je n'ai pas l'impression que Anderson écrivait avec une main fourrée dans son pantalon.