Les Chroniques de l'Imaginaire

Le lac des âmes - Leckie, Ann

Les dix-huit nouvelles réunies dans ce recueil donnent une bonne idée du talent et de la variété d'inspiration de la créatrice des Chroniques du Radch. Toutes, à l'exception du texte éponyme, ont été publiées entre 2005 et 2015.

Elles sont regroupées grosso modo en trois parties, dont l'une appartient à l'univers des Chroniques, sans toutefois qu'aucun de leurs personnages y soit nommément cité. On retrouve néanmoins, dans Le lent poison de la nuit, l'aspect impérialiste du Rach, prêt à tout pour étendre son influence sur de nouveaux mondes. Dans Elle m'ordonne et j'obéis, situé sur une station spatiale, on reconnaît bien la façon dont Leckie parvient à créer des univers improbables, tout en montrant que les humains restent semblables à eux-mêmes, en l'occurrence quant à l'ambition. En ce qui concerne le dernier texte rattaché à cet univers, La création et destruction du monde, il aurait à mon avis tout aussi bien pu faire partie de ceux appartenant à l'univers de La Tour du Freux, puisque les dieux y ont une place prépondérante. En ce sens, il fait le lien avec la partie suivante.

Dans celle-ci, il n'est pas de nouvelle sans dieu, dont un au moins qui est récurrent : la rivière Nalendar, en vedette dans La Nalendar, qui voit un ancien dieu essayer de retrouver son pouvoir et régler le conflit qui l'a opposé à la rivière ; la très bonne Le dieu inconnu, où le rapport entre dieux et humains m'a paru complexe et réussi, tout en comportant un personnage central particulièrement attachant. D'autres textes dans cette partie montrent des dieux ayant décidé de se débarrasser d'anciens contrats avec les humains qui ne leur conviennent plus, avec des réussites variables. Ainsi, Le dieu d'Aù, qui renouvelle avec brio le thème du pacte avec le diable ; L'épouse du serpent évoque les limitations des dieux d'une part liées à leur propre nature, mais aussi au libre arbitre humain.

Les relations entre dieux et humains figurent bien sûr dans chacune de ces nouvelles, mais elles sont particulièrement centrales dans Les dieux des marais, où un dieu décide d'aider la petite Voud, la très drôle Comme un vol de Bacon hors du gazon natal, où le "pacte" entre humain et dieu tourne cette fois nettement à l'avantage du dieu, et enfin dans la très plaisante Adorée du Soleil, aux personnages particulièrement fouillés, dans laquelle les impératifs des dieux sont très clairement détaillés, et qui met en scène un conflit entre dieux.

Enfin, certaines nouvelles sont hors tout univers déjà visité par les lecteurs et lectrices de Leckie. Le thème de la rencontre avec une communication difficile, avec des conséquences plus ou moins dramatiques, figure au coeur de la nouvelle éponyme, pour ne rien dire de Empreintes, dont la chute fait froid dans le dos en changeant totalement d'atmosphère, et surtout Un autre mot pour Monde, où ce thème est central, puisque deux plénipotentiaires découvrent enfin qu'elles ne comprennent pas la langue de l'autre alors que tout le monde pensait qu'une traduction avait été établie.

Ecrire, c'est raconter des histoires, et leur pouvoir est ce qui sous-tend Le camp en péril, très belle nouvelle sur l'importance de savoir quelle version d'un récit va être utilisée. Hommage aux romans martiens, L'Hespérie et la gloire flirte avec le fantastique, et joue magistralement avec la réalité. Les lecteurs et lectrices de l'autrice américaine auront repéré son humour discret, noir souvent, mais bien présent, et on en trouve un bel exemple, loufoque à souhait, dans La triste histoire de l'oignon sans larmes. Enterrez les morts est une belle métaphore sur le deuil et la vie qui doit continuer. Enfin, Les Justifiés déroule un univers intéressant, extrêmement hiérarchisé, qui évoque de loin le Radch sans en faire partie a priori.