Il arrive que le présent ressemble furieusement à une dystopie. Trouver refuge dans la création artistique est un bon moyen de résister aux émotions négatives que cela peut générer. C'est ce que souligne l'éditorialiste de ce numéro de la revue québécoise.
Le volet Fictions regroupe :
Autres temps, autres mers, de Marie Labrousse : Sur ce rivage tout près de l'Ere des Abysses, Raùl attend Esteban qui, lui, voyage d'une marée à l'autre. J'ai vraiment beaucoup aimé cette nouvelle originale, qui explore les relations entre l'amour et le temps, et dont les personnages sont remarquablement construits. Ce texte confirme tout le bien que j'avais pensé de son autrice à la lecture de sa première publication, dans Solaris n°230.
Le Veilleur, de Bastien Champougny : Qui ne rêverait, grâce à un billet trouvé dans le métro, de changer de dimension ? "C'est l'aventure d'une vie !". Mais est-ce possible pour tout le monde ? Une autre très bonne et belle nouvelle, originale et sombre, avec un protagoniste principal complexe et attachant, d'un nouvel auteur dont on espère lire d'autres textes.
Route 39, de Flavie Bélanger : Quand elle revient, elle est une étrangère. Mais est-elle autre chose ailleurs ? Je crains d'être restée totalement à l'extérieur de cette nouvelle, trop elliptique pour moi.
Nous sommes seuls, de Alexander Zerenyj : Robert Wilson a créé la technologie permettant d'envoyer la conscience humaine à l'autre bout du système solaire et d'en revenir. Mais ce qu'il rapporte de son voyage ébranle la communauté scientifique, et son propre fils. Plaidoyer pour prendre soin du seul monde dont on est sûr qu'il est habité, ce texte m'a paru trop ancré dans un univers religieux pour me parler vraiment.
Virée boréale, de Michèle Laframboise : Martin veut alimenter sa chaîne numérique, mais Yann, lui, a entrepris cette virée vers le lac de l'Oeil pour une raison familiale impérative. Cette autrice de talent a donné plusieurs beaux textes à Solaris, outre celui qui lui avait valu le prix éponyme en 2006 et 2010. Cette très belle histoire fantastique, bien menée et aux personnages attachants, ne fait pas exception, en renouvelant le thème des fantômes vengeurs.
Odonnec, de Yves Meynard : Dans une Europe en guerre, un colporteur est chargé par le lieutenant d'un avant-poste de convoyer une étrange prisonnière. J'ai bien aimé l'univers évoqué dans ce texte, mais le mystère porté par le titre est resté entier pour moi.
Le Manifeste du Multiversalisme, création au confluent de la philosophie, de la science et de la littérature, porté par des noms bien connus du public français, dont par exemple Vincent Bontems et Roland Lehoucq, propose de partir des textes de Fiction existant ou à créer pour inventer des multitudes de futur possibles (si j'ai bien compris...). Le texte lui-même m'a paru touffu, mais intéressant, et je ne manquerai pas de suivre les développements de cette approche innovative.
Intitulés Les Moulins à mots, ou quand la machine fait de la littérature, les Carnets du Futurible sont consacrés à l'écriture mécanique, des automates écrivains du XVIIe siècle à ChatGPT. C'est un peu effrayant de s'apercevoir que des uns à l'autre, la route n'a pas été si longue, toutes proportions gardées. Mario Tessier nous la raconte en rappelant également les oeuvres de science-fiction où est utilisé le thème de la machine qui écrit.
Claude Janelle présente dans son DALIAF le seul roman de SF, ambitieux et original, d'Agnès Guitard, qui semble malheureusement avoir quitté les genres de l'imaginaire à la fin du siècle dernier.
Dans la partie Critiques du numéro, j'ai noté L'herbe naïve, d'Esther Rochon, en regrettant la persistante absence des éditeurs français dans cette revue des sorties récentes.