Les Chroniques de l'Imaginaire

À l'oeuvre - Laurrent, Eric

Gustave Flaubert a trente ans lorsqu'il entreprend d'écrire Madame Bovary, ce roman aujourd'hui devenu un grand classique de la littérature, à l'instar de son auteur qui fait partie des plus grands écrivains français. Installé à Croisset du côté de Rouen où il vit avec sa mère et sa nièce, dans une belle demeure bourgeoise en bordure de Seine, Gustave se tue à la tâche. Pour lui l'écriture n'a rien d'un exercice ludique. C'est un forçat du verbe, de la syntaxe, du souffle. Chaque mot est pensé et pesé. Il peut utiliser trente feuillets pour aboutir à une seule page s'il le faut, passer des semaines sur un passage si nécessaire.

Un tel sérieux pourrait laisser penser que le personnage est austère, triste et solitaire. C'est pourtant tout le contraire. Flaubert est un jouisseur, qui mange, fait l'amour et rit avec appétit. Il est aussi curieux et voyageur, ce qui l'a amené à se rendre en Orient d'où il a ramené, en plus de ses souvenirs, des vêtements et objets qui l'auréolent d'un certain exotisme. Ami fidèle, il retrouve régulièrement Louis Bouilhet, poète et dramaturge qui l'accompagne activement dans les phases de relecture de son roman, ainsi que Maxime Du Camp, qui l'aidera à être publié dans la Revue de Paris. On trouve également une figure connue, la poétesse Louise Colet, avec qui il a vécu une liaison aussi passionnelle qu'orageuse. L'écrivain n'étant pas aussi constant en amour qu'en amitié, nous croiserons d'autres figures féminines dans ses draps.

Eric Laurrent entreprend ici de raconter la période pendant laquelle Flaubert a écrit puis fait publier Madame Bovary, entre 1851 et 1857. Il nous présente un Gustave Flaubert plus vrai que nature, qu'on reconnaît dès la première rencontre. Sa bonhomie, sa truculence, sa rigueur au travail transpirent de chaque page. Il déborde de partout, on le touche du bout des doigts, et c'est extrêmement exaltant de le suivre dans ses aventures rouennaises et parisiennes, auprès des femmes, des gens du monde, de sa famille et de ses amis, sous la plume d'un auteur qui maîtrise son sujet à la perfection.

Au fil du texte, Eric Laurrent dissémine des indications sur l'écriture tâtonnante de Madame Bovary, qui a subi bien des modifications et corrections avant le point final. Il parsème des anecdotes véridiques et donne une consistance authentique aux noms connus que nous croisons : Lamartine, Théophile Gautier, Baudelaire... L'écriture même entre en écho avec celle de Flaubert, avec de belles descriptions soignées qui font ressortir le décor et donnent vie aux personnages dont on visualise le moindre geste. C'est une lecture interactive, très vivante, dans laquelle Eric Laurrent pousse l'implication jusqu'à faire une apparition amusante. La plume est élégante et, cerise sur le gâteau, mordante, pleine d'esprit et d'humour.

À l'oeuvre est une merveilleuse surprise. Le personnage de Flaubert est très juste, l'écriture formidable. C'est captivant, drôle, parfaitement intégré dans l'atmosphère de l'Empire. Une lecture vraiment jubilatoire qu'on a bien du mal à quitter et qui donne envie de (re)lire Madame Bovary dans la foulée.