Les Chroniques de l'Imaginaire

Utopia - Lahaie, Brigitte

Après la mort prématurée de sa mère atteinte d'un cancer, la jeune Lise reporte son affection sur la pouliche issue de la monture adorée de sa mère. Entre Utopia et elle, ce sera une histoire d'amour, qui va accompagner la transformation de l'adolescente en femme adulte. Si Lise adore sa jument, celle-ci le lui rend bien, prête à tout pour rester aux côtés de son humaine bien-aimée.

Utopia est un cheval de sport, elle se rêve Jappeloup : "petite par la taille, mais immense dans mon cœur". Comme le célèbre cheval médaillé olympique, elle est plus petite que la plupart de ses concurrents, de robe noire, plutôt mal foutue et issue d'un croisement souvent dédaigné de mère pur-sang et de père trotteur. Comme lui, elle a des capacités extraordinaires, qu'il ne tient qu'à ses cavaliers d'exploiter au mieux pour remporter de belles épreuves.

L'histoire est racontée à la première personne directement par Utopia, depuis ses premières cabrioles dans les prés auprès de sa mère jusqu'à son débourrage, ses premières balades endiablées avec Lise, ses premiers concours et ses premiers classements, et finalement une retraite sportive quand Lise finit de toute façon par la délaisser en rejoignant pleinement le monde des adultes. Malgré un emploi des temps passé/présent parfois décousu, le récit est globalement linéaire et facile à suivre.

Bien qu'Utopia soit coincée dans son box, elle en sait assez suite aux confidences de son amie pour nous parler de la vie de celle-ci, souvent perdue, cherchant sa voie, courant d'homme en homme sans jamais trouver le bon. Il faut dire que si l'attitude de son père à son égard l'a parfois dérangée ("des comportements qui se voulaient maternants, mais qui devenaient incestueux"), elle n'en a pas moins une libido débridée qui la pousse dans des relations sensuelles intenses. Parfois, c'est auprès de sa jument que Lise trouve ce qui lui manque, puisque "l'extase équestre et l'extase sexuelle ont bien des points en commun". Lise affirme d'ailleurs à propos d'Utopia "Nous vivons une concupiscence charnelle".

Là où le bat blesse, c'est qu'on ne sait pas trop à quel public cet ouvrage s'adresse. L'autrice tente de banaliser le monde du cheval pour les néophytes, mais ses explications sont souvent trop pointues pour eux. 

Quant aux amateurs, ils pourraient bien être lassés par les digressions certes courtes mais incessantes sur toutes sortes de sujets liés aux chevaux. A chaque page, son petit écart dans le récit, pour nous parler de l'instinct de proie, la monte en amazone inventée pour préserver la vertu des femmes, la génétique des Selles Français et la tendance actuelle des éleveurs à privilégier l'élégance plutôt que la fiabilité, l'entretien des chevaux âgés, la croyance populaire voulant que l'équitation n'est pas un sport, l'inconfort provoqué par les insectes, l'importance d'une bonne ferrure et tant d'autres choses.

La plupart du temps, cela se veut didactique, mais bien souvent ce sont des remarques très critiques plaidant contre le sevrage brutal des poulains, le débourrage trop précoce des chevaux de courses qui va jusqu'à la maltraitance animale, le dopage auquel les chevaux n'ont évidemment pas consenti, le confinement des chevaux en box avec des sorties uniquement pour travailler, l'argent qui régit le milieu hippique et qui est indispensable même si on est talentueux, les cavaliers de pacotille qui achètent des chevaux pour briller (et les revendant dès que les performances ne suivent pas, vu le talent des maquignons pour vendre du rêve en cachant la difficulté), les chevaux blasés par une monte inadaptée ou un travail trop routinier... Voilà, vous en avez marre vous aussi ? C'est certes sympa de voir l'empressement de l'autrice dans son plaidoyer pour une connexion cheval/cavalier basée sur une confiance mutuelle, plutôt qu'une relation basée sur un rapport de force, mais trop c'est trop : à la longue, j'avais vraiment l'impression de lire un manuel pédagogique.

Pour les besoins du récit, Utopia en sait bien plus qu'un cheval ne le devrait (puisqu'elle comprend ce que racontent les humains autour d'elle). D'une manière générale, elle jalouse les hommes qui plaisent à sa chère Lise. En fait, elle a des opinions bien arrêtées sur tous les cavaliers qui gravitent autour d'elle, qu'elle juge avec des normes humaines. Par exemple, elle déteste Michelle, qu'elle qualifie littéralement de grosse et conne : "Cette gonzesse ne me convient vraiment pas. Elle est ronde, le visage ingrat, je comprends pourquoi elle a choisi l'option cheval de bon matin, parce qu'en boîte de nuit elle ne pourrait pas monter beaucoup de mecs". Depuis quand les chevaux ont-ils un avis aussi tranché (vulgaire qui plus est) sur le physique des humains ? L'autrice glisse que, au contraire de nombreux cavaliers, "Lise ne tombe pas dans l'anthropomorphisme". Elle-même par contre ne s'en prive pas, comme quand elle explique que les copains de box se raillent entre eux quand leurs cavaliers leur offrent des couvertures de couleur ridicule, ou qu'Utopia compte les mois avant la reprise des concours...

Je n'ai pas réussi à adhérer à cet ouvrage, trop plat en terme d'histoire, trop lourd et moralisateur sans aucune trace d'humour ou de légèreté. Dommage, car je partais motivée.