Les Chroniques de l'Imaginaire

L'énigme de l'univers - Egan, Greg

Andrew Worth est réalisateur de documentaires scientifiques pour le réseau SeeNet. C'est un travail qui est devenu nettement plus simple en ce milieu de vingt-et-unième siècle grâce aux progrès de la technologie. Plus besoin de caméraman, par exemple : avec les implants nichés dans son abdomen, Andrew peut enregistrer lui-même tout ce qui passe à sa portée. Il vient de boucler les prises de vue pour sa dernière production : Intox ADN, une étude de cas sur les modifications génétiques. Alors qu'il en termine le montage, deux nouveaux projets s'offrent à lui. Le premier s'intéresse au syndrome de stress anxiogène définitif ou D-stress, une maladie mentale qui se propage de manière incompréhensible. L'autre concerne la jeune physicienne sud-africaine Violet Mosala, qui se prépare à assister à une conférence où elle présentera sa théorie du grand tout. Si ses travaux s'avèrent fondés, ils pourraient constituer la clef de la compréhension du fonctionnement de l'univers à son niveau le plus fondamental.

Ayant choisi le second sujet, Andrew s'envole pour Anarchia, une île corallienne artificielle au beau milieu de l'océan Pacifique. Comme son nom l'indique, elle abrite une société résolument anarchiste qui en fait une sorte de paria sur la scène géopolitique, en particulier à cause de son dédain absolu pour les brevets scientifiques. C'est un drôle d'endroit où organiser une conférence scientifique et il va sans dire que rien ne va se passer comme prévu. Tentatives d'empoisonnement ou d'enlèvement, factions mystérieuses agissant dans l'ombre, mercenaires prêts à envahir l'île… Le séjour d'Andrew sur Anarchia ne sera pas de tout repos.

Comme souvent quand je lis du Greg Egan, je suis bluffé par la manière dont il prédit certaines évolutions de la société avec des années d'avance. Ainsi, bien que ce roman date de la fin des années 1990, les questions de genre y sont abordées d'une manière résolument actuelle, avec l'utilisation de pronoms neutres et la présence d'individus ayant adopté des identités de genre très au-delà de la simple (simpliste ?) dichotomie homme/femme. Cette thématique n'est pas du tout fondamentale, mais elle est intégrée au récit de manière très fine et respectueuse. De la même manière, on trouvera matière à réflexion sur des sujets aussi variés que le droit d'auteur des découvertes scientifiques, le développement des intelligences artificielles et de la biotechnologie ou encore la possibilité d'une société authentiquement anarchiste.

Comme toujours avec Greg Egan, ce sont les sciences dures qui sont au cœur de l'intrigue. Dans ce livre-ci, on parlera beaucoup de physique théorique, de mécanique quantique et de métaphysique, des sujets touffus qu'il rend aussi accessibles qu'il est possible de les rendre dans le contexte d'un thriller de science-fiction. Il est très facile de se laisser porter lorsqu'arrivent les passages les plus délicats et de se laisser prendre au jeu des rebondissements d'une intrigue très bien ficelée. Dans un premier temps, j'ai eu du mal à m'attacher à Andrew, un personnage étrangement détaché et froid, mais il connaît une évolution intéressante au fil des pages et devient un individu nettement plus plaisant à suivre.

Comme d'habitude, l'étiquette « hard science » a tendance à m'effrayer mais Greg Egan a le chic pour produire des bouquins qui s'inscrivent résolument dans ce genre sans jamais être désagréables à lire. C'est encore une belle réussite de sa part et c'est une chouette idée que le Bélial' a eue de rééditer sa bibliographie.