Les Chroniques de l'Imaginaire

Olaf Stapledon (Galaxies SF - 90)

Les listes de pionniers de la science-fiction moderne incluent trop rarement le nom d'Olaf Stapledon (1886-1950). Cet écrivain britannique a pourtant développé une œuvre aussi fascinante que singulière, d'une ampleur littéralement cosmique. Ses romans Les Derniers et les Premiers (1930) et Créateur d'étoiles (1937) constituent des fresques passionnantes et vertigineuses du futur, qui se déploient sur des milliards de milliards d'années.

Le dossier que lui consacrent Simon Ayrinhac, Jean-Guillaume Lanuque et Xavier Noÿ dans ce quatre-vingt-dixième numéro de Galaxies SF constitue un panorama accessible et stimulant sur son œuvre, sous un angle chronologique, politique, métaphysique ou même personnel, chacun des trois coordinateurs du dossier revenant sur sa première rencontre avec cet auteur. Ils nous offrent également un échantillon représentatif de sa prose avec la nouvelle Un monde de sons, qui comme son nom l'indique décrit la plongée de son narrateur dans un univers entièrement auditif. Sylwen Norden s'amuse quant à lui à imaginer des Lettres perdues d'Olaf Stapledon à Agnès Miller, correspondance fictive qui alterne adroitement récit de la guerre de tranchées et plongée dans l'imagination de Stapledon.

Cycle sur cycle d'Anthony Boulanger (troisième du prix Alain le Bussy 2024) a beau ne pas faire partie du dossier, elle aurait très bien pu s'y inscrire, vu la manière dont elle dépeint au fil de plusieurs siècles l'évolution progressive de formes de vie étranges dont le cycle de reproduction s'avère littéralement cosmique. Un peu trop brève pour qu'on puisse vraiment s'attacher aux personnages, mais bien fichue et très originale.

On a ensuite affaire à un vétéran de la science-fiction francophone en la personne de George W. Barlow qui fête cette année ses 89 ans ! Avec Comment j'ai atteint une dimension universelle à l'âge de quatorze ans, il nous offre un récit à la deuxième personne qui mêle souvenirs de pensionnat et irruption du fantastique. C'est un peu vieillot dans le fond et la forme, mais ça fonctionne bien. Un autre grand ancien, Jean-Pierre Andrevon, nous propose ensuite La cité radieuse, une fable bien tournée et pleine de mystère sur l'illusion du progrès.

On reste dans le fantastique et le bâtiment avec Gentrification de Michèle Laframboise, une jolie petite histoire très touchante sur une artiste peintre qui refuse obstinément de quitter son quartier promis à la destruction. Bulldozers et promoteurs n'auront évidemment pas le dernier mot. Enfin, L'âme de la ville du diable d'Iryna Hrabovska est une uchronie ukrainienne (essayez de dire ça le plus vite possible sans bafouiller) pleine de suspense à base de sociétés secrètes et de tentatives d'assassinat.

Comme d'habitude, la version numérique du magazine propose davantage de nouvelles, quatre cette fois-ci. La porte à sens unique, de Léo Bontempelli, imagine ce que pourrait être l'exploration d'un trou noir par une astronaute humaine. On y retrouve une ampleur cosmique comparable à celle du texte d'Anthony Boulanger, même si je ne suis jamais convaincu par les nouvelles qui font trop de références à la musique populaire. Stéphane Miller apporte un récit plus ancré dans l'actualité avec Dérive : l'Afrique, les réfugiés, la violence. Le style abrupt et laconique est au diapason du propos. Le contraste est fort avec Captivité d'Émilie Beltane, où les derniers humains ont été parqués dans une sorte de réserve naturelle par des extra-terrestres aux desseins mystérieux. Pour finir, Guillaume Laffineur nous offre avec Résidus une astucieuse nouvelle pleine de gouaille sur un groupe de techniciens tirés de leur sommeil cryogénique pour enquêter sur une panne inexpliquée.

Les rubriques habituelles viennent compléter le sommaire, avec les chroniques des dernières sorties de livres, bandes dessinées et films. Jean-Guillaume Lanuque s'intéresse dans Séries-graphies au traitement de l'intelligence artificielle dans les séries Westworld et Terminator Zéro tandis que la Croisière au long du fleuve de Didier Reboussin fait escale chez le prolifique André Caroff (1924-2009), auteur de plus de deux cents ouvrages.