Guadeloupe 1967, Luc Blanchard est maintenant pigiste pour France Antilles, il vit là-bas avec sa compagne Lucille et leur fille. La vie est plutôt tranquille pour eux, ils ne roulent pas sur l'or mais ils profitent quand même des plaisirs de l'île. Mais depuis quelque temps le climat est tendu en Guadeloupe, la vie est chère, les salaires des ouvriers sont bas et le mépris social et racial est toujours présent. Luc commence vraiment à se rendre compte des rancœurs lorsqu’il rencontre un groupe indépendantiste dont fait partie Jacques, l'oncle de Lucille.
Fin mai, tout va basculer, les patrons refusant d'augmenter décemment les salaires après une réunion à la chambre de commerce, la population crie alors sa colère. Une manifestation se déclenche mais, face aux escadrons de CRS, la situation dégénère. Des tirs sont déclenchés par on ne sait qui, des manifestants sont blessés par balles, la panique et la rage s'étendent dans la foule. Lucille tente désespérément de soigner des blessés avec les moyens du bord, Luc est alors chargé d'emmener un blessé à l'hôpital. Mais rapidement, il se rend compte que la victime est morte. À l'hôpital, un médecin lui fait comprendre qu'il y a d'autres victimes par balles, et que les tirs ont été déclenchés d'une hauteur par un tireur d'élite certainement.
Inquiet, il retourne sur place pour retrouver Lucille à tout prix, pour la sortir de là et lui annoncer surtout que son oncle a été tué par ce ou ces tireurs.
Bouleversés, ils rentrent chez eux et vont tenter de faire face à ce deuil et aux questions qui se posent après cette tragédie. Qui a déclenché les tirs, qui les a ordonnés et surtout pourquoi alors qu'il s'agissait d'une banale manifestation réclamant des augmentations de salaire ?
Deux jours plus tard, leur vie bascule de nouveau, Lucille est arrêtée et transférée en métropole pour être renvoyée devant la Cour de Sûreté de l'État. Complètement perdu et ne sachant que faire, c'est à ce moment là qu'Antoine Lucchesi réapparaît dans sa vie cinq ans après leur dernière rencontre au Cameroun. Le lendemain, l'instinct d'ex policier de Luc reprend le dessus, il va commencer à enquêter pour obtenir des réponses et surtout de quoi défendre Lucille devant la Cour.
Et là, Luc va gêner beaucoup de monde ; jusqu'à des proches du pouvoir qui vont tout tenter pour le stopper.
J'avais beaucoup aimé les deux précédents opus de Thomas Cantaloube sur les coups tordus de la Cinquième République où l'on suivait déjà Luc, Antoine et Sirius le salaud pas si mauvais. Ce polar s'attaque cette fois à la répression sanglante qui a eu lieu en Guadeloupe en 1967 suite à une manifestation. Répression dont on ne connaît toujours pas le bilan exact des victimes aujourd'hui. On y découvre une face sombre de la République dans ce département d'outre-mer, avec ses relents de racisme, de restes de l'esclavage et de mépris des blancs et békés pour les noirs descendants d'esclaves avec comme toile de fond la misère économique des classes populaires.
On retrouve les trois protagonistes dans ce roman, chacun impliqué dans l’histoire pour des motifs différents mais dont on pressent que leurs aventures vont finir par se croiser. J'ai toujours une petite préférence pour Sirius, un personnage peu ragoûtant à la base mais dont les blessures personnelles finissent par le rendre attachant. J'apprécie surtout son cynisme et le fait que, tel un chat, il finit toujours par retomber sur ses pattes en tâchant de se faire le moins éclabousser possible par la boue qu'il remue. Cette coalition d'intérêt est toujours intéressante à suivre dans une intrigue toujours bien ficelée, avec des coups bas, des barbouzes, des hommes de main sans scrupule et des politiques cyniques à souhait.
On ne s'ennuie pas dans ce polar politique qui par l'intermédiaire des aventures indépendantes de ses trois personnages dénonce des magouilles et des intérêts politiques et économiques qui s'entrecroisent et pas pour le bien de tous.
Thomas Cantaloube a le don d'appuyer là où ça fait mal pour notre vieille République en allant dégotter des événements oubliés ou occultés par l'Histoire et les remettre en lumière. Ceci pour nous rappeler que les bons vieux coups tordus ne sont pas toujours du fait des truands ou de régimes honnis.
Merci à lui de remiser nos illusions et de nous ouvrir les yeux sur des événements peu connus et peu reluisants pour nos dirigeants et notre Cinquième République.