Les Chroniques de l'Imaginaire

Défense d'extinction - Nayler, Ray

Sibérie. Damira, la matriarche des mammouths, mène sa harde. Au bout de la piste ensanglantée : deux mâles solitaires, un vieux et imposant, l'autre plus jeune, gisant dans une mare de sang. Les défenses en ivoire précieux ont été prélevées par des braconniers.

Autre lieu, autre temps...

Kenya. Damira contemple le charnier en compagnie de ses collègues rangers : huit éléphants dont une nouvelle-née encore rose de quelques jours à peine, grouillant d'insectes, abattus depuis les airs. Des défenses, trompes et pieds, il ne reste rien : les braconniers ont tout emporté. Damira le sait : bientôt, il ne restera plus d'éléphant à sauver. Son combat incessant pour alerter l'opinion et lutter contre les braconniers est vain, mais elle est déterminée à lutter tant qu'elle le pourra, de toutes ses forces.

Inspirée par une réalité sordide, celle du braconnage des éléphants et du trafic de l'ivoire, Défense d'extinction imagine la disparition probable dans un futur proche des derniers pachydermes sauvages. Avec eux disparaîtront les connaissances qui leur permettent de survivre dans la nature. 

A partir de là, l'auteur bascule dans la science-fiction et imagine d'implanter la copie d'un esprit humain spécialiste des éléphants - celui de la docteure Damira Khismatullina - dans le corps d'un mammouth cloné. En effet, s'il n'y a plus de place dans ce futur pour les éléphants, les vastes espaces de Sibérie sont encore disponibles pour le renouveau espéré des mammouths, dont l'espèce a été reconstituée à partir de son ADN. Elevés en captivité, les nouveaux mammouths n'ont pas acquis les compétences pour survivre par eux-mêmes, ils ne savent pas vivre ensemble pour se protéger et se perpétuer. Damira pourra les guider.

Mais quelle est la place du vivant face à l'avidité humaine ? Le cours du Nouvel Ivoire de Mammouth atteint des sommets vertigineux, tandis que les mammouths eux-mêmes constituent un formidable trophée pour des chasseurs richissimes...

Le texte oscille entre le passé (plus ou moins notre présent) et le présent (notre futur, dans peu ou prou un siècle), entremêlant habilement moments vécus et souvenirs, sans transition. On passe de Damira aux braconniers, des braconniers aux responsables du projet désextinctionniste. Les limites sont floues, l'effet est saisissant.

Cette novella n'est pas sans évoquer une autre plus ancienne mais également déchirante, La vieille Anglaise et le continent, dans laquelle une écoterroriste vieillissante se laissait convaincre de transférer son esprit dans le corps d'un cachalot, pour sauver les cétacés en voie de disparition. J'en ressors avec le même sentiment de tristesse poignante, c'est un texte beau et fort qui ne laisse pas indifférent.